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In Memoriam, par Franck Lafaille
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https://www.cairn.info/revue-francaise-de-droit-constitutionnel-2018-1-page-245.htm
|Description=La « Commission Rodotà » – qui rend en 2010 un rapport sur la « modification du Code civil en matière de biens publics » – a contribué à renouveler le débat juridique en Italie. La Commission tente de juridiciser une notion ayant émergé en économie, avec Ostrom principalement : la notion de « beni comuni » (biens communs, BC). Cette notion est regardée comme un moyen de repenser rien de moins que la démocratie représentative et l’État de droit constitutionnel/social. Aussi va-t-on partir de cette notion de BC pour décliner la pensée de Rodotà et appréhender les grands thèmes par lui abordés au cours de son existence. Selon Rodotà (il n’est pas le premier…), la propriété entendue au sens classique – individuelle et capitalistique – est source de (presque) tous les maux. Un de ses ouvrages les plus célèbres s’intitule « Il terribile diritto », ce terrible droit étant le droit de propriété. Quant au sous-titre de cet ouvrage, il est explicite : « Études sur la propriété privée et les biens communs ». La notion de BC est révolutionnaire selon Rodotà car elle emporte lecture sociale de la propriété. On ne peut se contenter d’individualiser la titularité d’un bien ; il importe d’aller au-delà, de s’appesantir sur la fonction d’un bien dans le cadre d’une lecture sociale (cf. Duguit souvent cité en Italie). Le bien commun n’est point raccordé à un titre de propriété, et ne connaît pas le rapport dominus-bien. Est récusée ici la conception classique de la domanialité tant elle jurerait avec la notion de droits fondamentaux. La notion de BC est révolutionnaire selon Rodotà car elle conduit à l’obsolescence partielle de la césure droit public/droit privé. Certains biens échapperaient à la sphère et des biens publics et des biens privés. La finalité de cette requalification est protectrice : protéger certains biens et du secteur public et du secteur privé, de l’État et des particuliers. Il s’agit de prendre acte de la défaite de l’État qui aurait failli en sa mission sociale : en recourant à la technique de la concession, l’État aurait révélé son inaptitude à gérer le domaine dit public, et ainsi à se faire le vecteur de l’intérêt général. Les biens communs – possesseurs d’un régime juridique ab norme détaché du droit public et du droit privé – permettraient le retour du bien commun, de la res publica. Il conviendrait d’objectiviser le régime juridique de certains biens – en raison de leur importance sociétale – afin de les mettre hors d’atteinte de l’irresponsabilité étatique et de la prédation privée. Une ère juridique nouvelle pourrait poindre : une ère au sein de laquelle disparaîtrait – ou à tout le moins serait repensée – la summa divisio classique droit public/droit privé. On retrouve ici certaines idées propagées par Hardt et Negri : le comune permettrait d’aller oltre (au-delà) du public et du privé. La notion de BC est révolutionnaire selon Rodotà car elle permet de repenser la démocratie représentative libérale ; pourrait même advenir une « démocratie des biens communs ». L’horizon de la police s’éclaircirait en raison de la jonction biens communs/démocratie participative : les citoyens pourraient se réapproprier leur souveraineté en se prononçant sur les biens méritant de devenir communs, voire en gérant de tels biens. C’est une critique de la démocratie représentative classique qui est formulée ici, en ce qu’elle signifierait dépossession de la souveraineté au profit d’une élite (même élue). L’objectif est d’instituer une « authentique » démocratie, une « démocratie du bas », enfant naturel du principe de subsidiarité. Nous ne sommes pas loin de l’antique antienne de l’auto-gouvernement. Bref, la théorie des BC se veut remède à la crise de la démocratie représentative. La notion de BC est encore révolutionnaire selon Rodotà car elle permet de repenser les liens juridiques entre générations. Il est posé en postulat politico-juridique que les générations futures possèdent des droits – en particulier celui de vivre dans un environnement correctement préservé – ce qui implique que les générations présentes possèdent des devoirs. Il est possible de relier destin des générations futures et biens communs, d’utiliser la théorie des biens communs pour préserver les droits des générations futures. Principes de responsabilité et de solidarité viendraient s’agréger pour modeler autrement les rapports juridiques présent/futur et individus/communauté. La notion de communauté – entité institutionnelle censée transcender l’individualisme des sujets en solidarité organique – revient souvent dans le discours relatif aux BC. Reste à répondre à cette angoissante question essentielle (au sens premier du terme) : peut-on, doit-on accorder des droits à des sujets qui n’existent pas ? La pensée de Rodotà est centrée – on le voit – sur les notions de droits et de dignité de la personne. Il n’est guère étonnant que l’un de ses ouvrages s’intitule Il diritto di avere diritti. Rodotà cogite sur la mutation du constitutionnalisme. La lutte pour le droit – selon une célèbre et ancienne formule – est devenue lutte pour les droits. Des révolutions ne cessent d’advenir : révolution de la technoscience, révolution d’internet. Comment alors gérer la révolution de l’égalité et la révolution de la dignité alors que se répand le phénomène de globalisation et que les droits semblent orphelins de la souveraineté ? Rodotà voit dans l’accès à internet un droit fondamental (il s’appuie notamment sur l’article 19 de la DUDH) de nature à faire émerger un constitutionnalisme global, une démocratie effective, une citoyenneté responsable. Internet serait un pont pour passer de l’individu (présumé atome égoïste) à la personne porteuse de dignité et insérée dans une communauté solidaire.
 
|Auteur=Franck Lafaille
La « Commission Rodotà » – qui rend en 2010 un rapport sur la « modification du Code civil en matière de biens publics » – a contribué à renouveler le débat juridique en Italie. La Commission tente de juridiciser une notion ayant émergé en économie, avec Ostrom principalement : la notion de « beni comuni » (biens communs, BC). Cette notion est regardée comme un moyen de repenser rien de moins que la démocratie représentative et l’État de droit constitutionnel/social. Aussi va-t-on partir de cette notion de BC pour décliner la pensée de Rodotà et appréhender les grands thèmes par lui abordés au cours de son existence. Selon Rodotà (il n’est pas le premier…), la propriété entendue au sens classique – individuelle et capitalistique – est source de (presque) tous les maux. Un de ses ouvrages les plus célèbres s’intitule « Il terribile diritto », ce terrible droit étant le droit de propriété. Quant au sous-titre de cet ouvrage, il est explicite : « Études sur la propriété privée et les biens communs ». La notion de BC est révolutionnaire selon Rodotà car elle emporte lecture sociale de la propriété. On ne peut se contenter d’individualiser la titularité d’un bien ; il importe d’aller au-delà, de s’appesantir sur la fonction d’un bien dans le cadre d’une lecture sociale (cf. Duguit souvent cité en Italie). Le bien commun n’est point raccordé à un titre de propriété, et ne connaît pas le rapport dominus-bien. Est récusée ici la conception classique de la domanialité tant elle jurerait avec la notion de droits fondamentaux. La notion de BC est révolutionnaire selon Rodotà car elle conduit à l’obsolescence partielle de la césure droit public/droit privé. Certains biens échapperaient à la sphère et des biens publics et des biens privés. La finalité de cette requalification est protectrice : protéger certains biens et du secteur public et du secteur privé, de l’État et des particuliers. Il s’agit de prendre acte de la défaite de l’État qui aurait failli en sa mission sociale : en recourant à la technique de la concession, l’État aurait révélé son inaptitude à gérer le domaine dit public, et ainsi à se faire le vecteur de l’intérêt général. Les biens communs – possesseurs d’un régime juridique ab norme détaché du droit public et du droit privé – permettraient le retour du bien commun, de la res publica. Il conviendrait d’objectiviser le régime juridique de certains biens – en raison de leur importance sociétale – afin de les mettre hors d’atteinte de l’irresponsabilité étatique et de la prédation privée. Une ère juridique nouvelle pourrait poindre : une ère au sein de laquelle disparaîtrait – ou à tout le moins serait repensée – la summa divisio classique droit public/droit privé. On retrouve ici certaines idées propagées par Hardt et Negri : le comune permettrait d’aller oltre (au-delà) du public et du privé. La notion de BC est révolutionnaire selon Rodotà car elle permet de repenser la démocratie représentative libérale ; pourrait même advenir une « démocratie des biens communs ». L’horizon de la police s’éclaircirait en raison de la jonction biens communs/démocratie participative : les citoyens pourraient se réapproprier leur souveraineté en se prononçant sur les biens méritant de devenir communs, voire en gérant de tels biens. C’est une critique de la démocratie représentative classique qui est formulée ici, en ce qu’elle signifierait dépossession de la souveraineté au profit d’une élite (même élue). L’objectif est d’instituer une « authentique » démocratie, une « démocratie du bas », enfant naturel du principe de subsidiarité. Nous ne sommes pas loin de l’antique antienne de l’auto-gouvernement. Bref, la théorie des BC se veut remède à la crise de la démocratie représentative. La notion de BC est encore révolutionnaire selon Rodotà car elle permet de repenser les liens juridiques entre générations. Il est posé en postulat politico-juridique que les générations futures possèdent des droits – en particulier celui de vivre dans un environnement correctement préservé – ce qui implique que les générations présentes possèdent des devoirs. Il est possible de relier destin des générations futures et biens communs, d’utiliser la théorie des biens communs pour préserver les droits des générations futures. Principes de responsabilité et de solidarité viendraient s’agréger pour modeler autrement les rapports juridiques présent/futur et individus/communauté. La notion de communauté – entité institutionnelle censée transcender l’individualisme des sujets en solidarité organique – revient souvent dans le discours relatif aux BC. Reste à répondre à cette angoissante question essentielle (au sens premier du terme) : peut-on, doit-on accorder des droits à des sujets qui n’existent pas ? La pensée de Rodotà est centrée – on le voit – sur les notions de droits et de dignité de la personne. Il n’est guère étonnant que l’un de ses ouvrages s’intitule Il diritto di avere diritti. Rodotà cogite sur la mutation du constitutionnalisme. La lutte pour le droit – selon une célèbre et ancienne formule – est devenue lutte pour les droits. Des révolutions ne cessent d’advenir : révolution de la technoscience, révolution d’internet. Comment alors gérer la révolution de l’égalité et la révolution de la dignité alors que se répand le phénomène de globalisation et que les droits semblent orphelins de la souveraineté ? Rodotà voit dans l’accès à internet un droit fondamental (il s’appuie notamment sur l’article 19 de la DUDH) de nature à faire émerger un constitutionnalisme global, une démocratie effective, une citoyenneté responsable. Internet serait un pont pour passer de l’individu (présumé atome égoïste) à la personne porteuse de dignité et insérée dans une communauté solidaire.
|Source=In Memoriam
|Accès=https://www.cairn.info/revue-francaise-de-droit-constitutionnel-2018-1-page-245.htm
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Version du 26 juin 2018 à 10:08