Commoner (Dictionnaire des biens communs)

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Cette article a été rédigé afin d'être publié dans le Dictionaire des biens communs, ouvrage dirigé par Fabienne Orsi, Judith Rochfeld et Marie Cornu, publié au PUF en 2017.

La définition du terme Commoner. Le terme « Commoner » dérive du terme anglais traditionnel qui désignait, au Moyen-Age et jusqu’à la fin du XIX e siècle, les personnes titulaires de droits collectifs sur les terres communes en raison de leur résidence ou du fait qu'elles détenaient des propriétés foncières. Il trouve donc son origine dans une organisation sociale spécifique, à une cette époque où la société était divisé en trois classes : la noblesse, le clergé et la classe laborieuse. L'expression commoners désignait les personnes qui ne faisant partie ni de la noblesse, ni du clergé, et qui formaient l'essentiel de la paysannerie. Ce terme est entré dans le vocabulaire français à la suite du renouveau de la notion de biens communs dans les débats économiques et politiques à la fin des années 2000. Dans le vocabulaire courant anglais, il est généralement utilisé pour désigner les personnes modestes ou la classe populaire, et marque une différence avec les personnes ou les classes privilégiées. Il est aujourd’hui utilisé pour désigner les personnes qui font partie d'une communauté* regroupée autour de la préservation et de l’usage d’un bien commun.

L’évolution historique : vers la fin des Commoners.

A partir du IV e siècle, et au cours de tout le Moyen-Age, la qualité de commoner va progressivement signifier le bénéfice de droits collectifs transmis au sein de la communauté villageoise*, par la coutume, régissant l’accès et le partage de ressources vitales. Selon A. W. B. Simpson i , cité par E DWARD P. T HOMPSON dans son ouvrage, LES USAGES DE LA COUTUME (CUSTOMS IN COMMON ), « les droits collectifs naquirent comme des droits coutumiers* associés à un système d’agriculture collective ». Autour du village, la communauté villageoise* disposait de friches sur lesquelles on faisait paître le bétail ; elles vont se réduire du fait de la croissance de la population et de la surface des terres cultivées. Les droits coutumiers sont alors progressivement établis de manière à permettre de réguler l'accès au pâturage, ou encore à toutes sorte de ressources indispensables dans l’économie de subsistance des paysans, telles que la tourbe ou le bois. Ces terres sont considérées comme collectives car, l’explique E DWARD P. T HOMPSON , pour ces communautés, « le concept central de la coutume féodale n'était pas celui de la propriété, mais celui de la réciprocité des obligations » ii et les paysans affirment leurs droits d’usage face aux puissants.

Progressivement, cette conception va cependant reculer au bénéfice d’une conception du droit qui fait des seigneurs les propriétaires des terres. De nouveaux régimes d’exploitation se développent, telles les tenures, qui permettent au seigneur de concéder la jouissance précaire de parcelles, mais concervant en principe la propriété foncière. Mais dans le même temps, les classes populaires vont se voir reconnaître des droits au travers de chartes et de traités médiévaux. Les plus connus sont certainement la Magna Carta* (1215) et la Charte des forêts (Charter of the Forest1217). Des lois telles que The Assize of Bread and Ale (1266/1267), qui réglementait le prix, le poids et la qualité du pain et de la bière, font des seigneurs les garants d’une certaine justice sociale au bénéfice de la paysannerie, et donc des Commoners. Dans les campagnes anglaises, les Commoners deviennent des acteurs clés. Ils sont les défenseurs de la solidarité communautaire à travers le maintien de la coutume qui les amènent à s’opposer au pouvoir royal et aux décisions des tribunaux. A partir du XV e siècle, l’essor d'une classe sociale intermédiaire et la montée en puissance de la bourgeoisie vont profondément transformer la société anglaise. Le mouvement des enclosures prend son essor et se terminera à la fin du XVIII e siècle. Ce conflit oppose les tenants d’une économie politique du « progrès » à ceux qui défendent les usages anciens basés sur les coutumes, garant d’un équilibre au sein de la communauté. Ce mouvement procède par abolition des droits collectifs et en transformant le bénéfice des usages des biens communs, soit en biens privés (propriété individuelle) soit en argent. Les Commoners voient ainsi leurs droits collectifs disparaître. Cette doctrine appliquée dans l'Empire britannique sera la cause de graves famines en Irlande et en Inde. Enfin, comme Karl Polanyi le mettra en évidence, la révolution industrielle et la doctrine économique de la bourgeoisie anglaise pronant le capitalisme, amèneront à remettre en question les différentes formes de protection des classes populaires, afin d’assurer une réelle motivation au travail dans le cadre d'un marché totalement libre. Le système de secours des Speenhamland, qui visait à atténuer la pauvreté rurale en Angleterre, est aboli au début du XIX e siècle, et si certains biens communs survivent à la vague du capitalisme, la définition du terme Commoner elle, a perdu sa dimension politique. Commoner n’est plus synonyme de défenseur des droits coutumiers. Il ne sert plus qu’à désigner les personnes qui possèdent ensemble un bien dont ils partagent l’usage, ou bien les personnes modestes ou de classe populaire.

La traduction de l'anglais vers le français : le retour des Commoners.

Aujourd’hui, la langue française n’offre pas d’équivalent au terme Commoner. Le mot communiste désignait jusqu’au XVIII e siècle une personne qui disposait de droits sur les biens communs. Au début du siècle suivant, il désignera d’abord le co-propriétaire, avant d’être capturé par l'expérience historique communiste. Dans son édition de 1876, le Dictionnaire de la langue française d'Émile Littré faisait aussi état du mot Communier. Le communier désignait « ceux qui étaient de la communauté d'une ville, d'une commune ». Ce terme, « d'ancienne législation » serait néanmoins tombé en désuétude. Il s'agissait effectivement des membres de communautés situées en ville ou bien à la campagne, qui soit possédaient des biens en commun, soit détenaient des droits d’usage sur des terres de la commune. Ce terme a d’ailleurs été utilisé dans la traduction française, en 2015, de l'ouvrage de E .P. Thompson, intitulé Les usages de la coutume (Customs in Common), mais il ne fait l’objet d’aucun autre usage contemporain. Dans le vocabulaire français contemporain, aucun terme ne parvient à rendre compte de l’enchevêtrement des relations qui lient personnes, ressources et classes sociales, que donne à comprendre Commoner dans la langue anglaise. Pour tenter de dépasser ces limites, auteurs ou traducteurs ont parfois choisi de proposer des alternatives. C’est le cas notamment avec Commoneurs pour l’ouvrage de David Bollier, La renaissance des communs (2013), Commoniste dans le milieu wikipédien et sur la toile. Mais il faut reconnaître que ce débat est loin d'avoir l'intensité de celui de la dénomination et de la définition des communs et des biens communs et des communs, eux-mêmes. Et finalement, l’usage de Commoner semble émerger aujourd’hui dans les médias, la recherche et dans les cercles militants français et francophones, mais son adoption par le plus grand nombre est encore incertain.

La distinction des Commoners, des usagers et des contributeurs.

Les notions de Commoner se distinguent de celles d'usager et de contributeur. Celles-ci lui sont généralement préférées dans les textes juridiques car elle permettent de contourner la difficulté de la définition positive des communs ou des biens communs. Dans le contexte qui nous intéresse — celui de l’accès à et de l’usage de ressources partagées —, la notion d'utilisateur désigne généralement l’acteur qui utilise, consomme, un service, un produit ou une ressource. Cette activité peut se réaliser dans le cadre d'une transaction avec ou sans échange monétaire. L’émergence du web et de l’économie collaborative basée sur les plateformes numériques, a néanmoins fait passer l’utilisateur du statut d’usager à celui de contributeur. Ce contributeur est initialement considéré comme une personne qui collabore à l’écriture d’une œuvre commune ou à la réalisation d’un projet collectif qui converge avec ses propres intérêts.Bien que les logiques d’acteurs tendent à mettre en avant les responsabilités de l’utilisateur et du contributeur au regard de questions de société, questions environnementales, sociales et plus généralement sociétales, ceux-ci ne sont pas, ou rarement, impliqué dans la gestion, et l'administration du dispositif de médiation de l'action collective. Ils sont écartés de la gouvernance qui est un des piliers de la définition des communs. La spécificité du Commoner est qu’il contribue à la production de règles et des mécanismes relevant de l’ordre juridique, qui permettent d'activer les communs et de les rendre pérennes dans le contexte où ils s'inscrivent.

Commoners et mouvement des communs.

Aujourd’hui, si les pratiques relevant des communs commencent à être désignées comme telles, les acteurs se dénomment rarement eux-mêmes comme des Commoners et ne se reconnaissent pas nécessairement comme membres d'un mouvement social unifié de Commoners. Ils sont le plus souvent engagés dans une nébuleuse d’organisations et de mouvements sociaux, structurés pour défendre des droits liés à un domaine d’engagement particulier. Il peut s’agir, par exemple, du droit au logement décent, à l’accès à l'eau, à la santé, à la connaissance et à la communication, au logiciel libre, ou encore de la défense de la diversité culturelle, à l’'existence des peuples indigènes, de à la biodiversité... Toutes ces causes intègrent à des degrés variables la notion de communs, et l'idée que les acteurs sont des Commoners. Ce sont les militants des causes environnementales et de celles inscrites dans le champ de la connaissance et de l'informatique, qui, au cours des cinq dernières décennies, se sont les premiers saisis de ces notions. Les militants du logiciel libre, de l'accès à la connaissance et à la culture ont commencé à se désigner comme commoners, en comparant l'accaparement de la connaissance et l'essor sans précédant de la propriété intellectuelle avec le mouvement des enclosures en Angleterre au XVII ième siècle. C’est d’abord en s’appuyant sur ces mobilisations et sur les travaux de recherche sur les communs lancés dans les années 1970/80, que le mouvement des communs (et des Commoners) va se développer. Celui-ci se constitue d’abord comme un espace de réflexion et de documentation des pratiques, des idées et des visions portées par des Commoners, que comme un espace de fédération des initiatives relevant des communs. Ce n’est donc pas l’addition d’initiatives qui constitue un mouvement des communs, mais plutôt l’approfondissement d’une réflexion sur la manière de produire de nouveaux mécanismes juridiques, institutionnels et sociaux qui permettent aux communs d'être déployés et protégés des enclosures. Les licences Creative Commons*, Wikipedia* ou encore les logiciels libres* sont parmi les exemples les plus connus de tels mécanismes. Mais, autour d’eux, se déploient une forte dynamique de réflexion et d’expérimentations incarnée par un ensemble d’initiatives qui visent chacune à sa manière à documenter et actualiser les communs. On retrouve parmi ces initiatives, la documentation produite par la Peer to Peer (P2P) Foundation*, les multiples tentatives de cartographies des communs, les dynamiques des festivals des communs qui traversent l'Europe, ou encore les espaces d'acculturation et de formation sous forme de Summer Camps ou d’école des communs* sur les communs. Les acteurs engagés dans ces démarches, qui eux se désignent bien comme des commoners, aussi bien dans le monde anglo-saxon qu'en France et à travers le monde, renouent avec et réactualisent les différentes dimensions de la définition du Commoner construites au cours du moyen age. Ils cherchent à faire du mouvement des communs, le creuset de propositions politiques qui résultent, de la solidarité entre les personnes, et entre les groupes porteurs d'initiatives de défense et de développement des communs. Il ne s'agit pas tant pour eux de porter la bonne parole auprès d'élus, de chercher à les convaincre de la valeur de leurs propositions, que de faire valoir l'action collective et ses modalités, basées sur des formes de subsidiarité et de répartition plus horizontale du pouvoir, comme moyen de transformer les politiques et d'interroger et réformer les institutions à différentes échelles.