Librairies indépendants et communs culturels

De Remix Biens Communs
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Contexte

Dans le cadre d’échanges avec des membres du syndicat des libraires indépendants autour de l'usage des données (quantitative et qualitatives) comme communs en lien avec le territoire. Ce syndicat serait intéressé à aller plus loin et expérimenter sur ce sujet s’il pouvait être accompagné par une structure alliant ingénierie et recherche qui s'intéresserait à ce sujet et cette approche (type Fabrique de la ville par exemple). Cet échange à donné lieu à une brève note destinées à être l'une des personnes qui pilotait la conception du programme investissement d'avenir (PIA) fin 2016.

Proposition

Les libraires indépendants rencontrent des difficultés du fait du développement des techniques commerciales basées sur l'usage des données personnelles. Ils s'interrogent sur les stratégies possibles de collectes et d'usages des données de leurs clients. S'ils ne peuvent lutter contre les opérateurs numériques (GAFA) avec les armes de ces derniers (collectes massives d'information sur les usages, les goûts, les pratiques culturelles .... de leurs clients), les stratégies de marketing venues de l'industrie ne semblent pas à la hauteur des défis et souvent ne correspondent pas à l'image que le libraire se fait de la relation qu'il entretient avec sa clientèle.

La loi Lang en fixant le prix du livre, encadre la filière du livre et le fonctionnement de l’interprofession. Impulsé par Jérome Lindon, cette loi a pour vocation de permettre la création éditoriale en protégeant le réseau des librairies indépendantes de concurrences prédatrices. La raison en est que les librairies indépendantes sont en capacité de défendre l'émergence de talents et d’idées nouvelles de par leur forte identité et leur connaissance des publications, du fait ....  de leur indépendance. La librairie est un lieu où les œuvres ne sont pas seulement vendues ou achetées. Elles se confrontent au public dans cet espace, miroir de nos sociétés. La librairie offre, de par son savoir-faire et son objet de travail, une proposition à venir, à construire du sens commun.

La chaîne  du livre est fragilisée par l'essor de types de point de vente qui poussent à de nouveaux modes de consommation. Amazon et les grands centres commerciaux contribuent à une désertification des centres urbains et à une augmentation de la consommation sur internet. Parmi les stratégies de ces nouveaux acteurs, la récolte de données client et leur utilisation à des fins commerciales est en plein développement. La maîtrise des données de chaque individus est supposée permettre de développer une proposition de vente au plus près du besoin de chaque consommateur, pris individuellement. Ces actes d’achats ou plutôt de consommation découlent d’une démarche de fidélisation à la satisfaction de l'individu. Or une telle utilisation de la donnée client amène à dénaturer le rapport à la lecture qui pour faire sens doit conserver une dimension collective. Il est à redouter les conséquences sociales et culturelle d’une approche de ce type sur les besoins des lecteurs.

Du fait de sa fragilité, de telles approches commerciales déstabilisent en premier chef la librairie indépendante avant de probables répercussions sur la création éditoriale. La librairie indépendante peut certainement faire un effort pour mieux connaître ses clients au travers de récolte de données client et en y apportant le savoir faire de la librairie. Si c’est peut-être une partie de la réponse, d’autres réflexions et travaux pourraient être menés.

En effet les données qui concerne les habitants, leurs liens avec la culture et leur territoire pourraient être collectées afin de créer des vecteurs communs de mobilisation. Ainsi autour de la question de la place et du rôle de la librairie dans un territoire ou de ses interactions avec les autres acteurs culturels, il s’agit de saisir les conditions de construction d’un modèle vivant et productif.

La présence d'une librairie indépendante dans une ville, un quartier, participe (parmi d'autres éléments bien sur) de la qualité de vie de ce quartier. Cela se traduit dans divers indicateurs économiques (exemple la valeur de l'immobilier, le dynamisme de certains commerces, .... etc), l'image de soi de la communauté, des habitants...etc. Le maintien ou le développement de l'activité du libraire dans le quartier, dans la la ville, concerne au premier chef le libraire comme entrepreneur, mais aussi les habitants, les autres institutions du champs culturel : bibliothèques, écoles, associations culturelles, lieux culturels, médias locaux .... Comment ceux-ci peuvent-ils contribuer au maintien de l'offre culturelle dans leur milieu ?  Une approche par les communs permettrait de poser des questions d’importance : comment traiter de la question de la culture sur un territoire et quel écosystème pourrait répondre aux enjeux de celle-ci ?

L'idée est faire (un) commun autour de cette problématique, c'est à dire un collectif composé des acteurs concernés qui se saisit de cette question pour faire des données pertinentes à l'échelle du territoire concerné, une ressource dont il va prendre soin. Cela peut impliquer différentes choses qui vont de la collecte à la gouvernance... (à réfléchir). Ce qui justifie le commun, ce n'est pas de rendre accessible chaque donnée individuellement, mais la pertinence des usages et la responsabilité des usagers vis à vis de la communauté dans la chaîne du partage.

Pourrait-on imaginer de financer des expérimentations territoriales et sectorielles pour doter les acteurs économiques de tels outils de développement économique "acceptables" par les habitants et auxquels ils contribuent parce qu'ils participent à leurs co-gestion ?

La préparation des Programme d'Investissement d'Avenir pourrait être l'occasion de proposer des expérimentations originales qui viseraient à associer les acteurs d'un territoire autour de la politique culturelle qui les concernent. De telles dispositifs pourraient prendre la forme de système d'échange monétaires (monnaie complémentaires dédiées à la culture) de paniers culturels co-élaborés par les acteurs à la manière d'AMAPS culturelles ou d'espace de production et de mise en circulation d'oeuvres au sein de la communauté que forme les habitants d'un quartier ou d'une ville.

Il semble pertinent de réfléchir à la mise en place de telles expériences qui permettraient de revisiter la question de la commercialisation du livre et le rôle d'agent culturel au service du sens collectif que porte la librairie indépendante. Une telle exploration pourrait être élaborée et conduite sur un temps moyen, avec des chercheurs de disciplines des sciences sociales, incluant des économistes ouverts à cette perspective.

Anaïs Massola, Frédéric Sultan, 14 décembre 2016


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