Démocratie participative dans la politique foncière d'une commune

De Remix Biens Communs
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Dans la collection : Politiques des communs


Métadonnées

Date de création 2019/11/14
Date de publication 2019/12/31
Fait partie de Politiques des communs


Article

Valentine Porche


Le village de Saillans, dans le département de la Drôme (Auvergne-Rhône-Alpes), a connu le feu des projecteurs depuis la prise de la mairie, en 2014, d’un collectif d’habitant.es ayant inscrit la démocratie participative au cœur de leur pratique politique municipale. Moins connue, leur expérimentation démocratique de révision collective du Plan Local d’Urbanisme (PLU) du village constitue également une source très riche d’enseignements. En effet, elle représente une première appropriation citoyenne des normes juridiques de l’Etat sur l’aménagement des territoires, et place directement les communs et la politique foncière dans l’arène d’une politique municipale. Sabine Girard, citoyenne élue de Saillans, raconte :

« Le croisement entre les communs et le foncier, c’est pour moi une question difficile, parce que la France est vraiment un pays de propriété individuelle. L’aspiration à la propriété y est très développée. A Saillans, on a un modèle d’urbanisation assez classique : on vient à la campagne pour avoir sa maison, son jardin, son garage… donc il n’existe pas de culture évidente du collectif.

C’est ce qu’on a vu avec le Plan Local d’Urbanisme, révisé collectivement en 2018-2019. En effet, si on ne fait qu’appliquer le règlement national, on doit arrêter de consommer des espaces fonciers agricoles. Les orientations sur l’habitat disent qu’il faut faire beaucoup plus d’habitats collectifs, avec des espaces collectifs de jardins, de parkings, de chemins ou de voies d’accès mutualisés. Mais pour nous, à la mairie, la question s’est plutôt posée autrement : faire prendre conscience du changement de modèle nécessaire vis-à-vis de la propriété privée, pour passer à plus de collectif. On s’est aussi questionné sur le type de collectif qu’on voulait. Ca s’est posé en termes de diagnostic  (« comment va le village ? »). De là à dire que c’est du commun, c’est encore autre chose.

La découverte du commun s’est surtout faite par l’importance des espaces communs dans un village. Il y avait une attention forte de la part de la population qui se disait qu’à une époque, il y avait beaucoup plus de places publiques, et que beaucoup de ces placettes ont été petit à petit appropriées, parfois par des parkings qui restent des espaces publics collectifs, et parfois par des privés comme des gérants de restaurants, ou même par des propriétaires privés qui avaient un espace devant chez eux, l’ont fait refaire… On a également constaté que la disparition de ces espaces publics, qui pose deux types de problèmes : pour se rencontrer, et pour la circulation dans le village entre les coteaux et la rivière. Dans la rédaction du PLU, ces places-là ont été revalorisées au titre du bien-vivre ensemble, pour des événements festifs, pour se rencontrer, pour des réunions de quartier… Là, il y a cette démarche de créer des « espaces communs », mais qui demande de réfléchir à ce qu’on veut en faire.


On a constaté la disparition de ces espaces publics, qui pose deux types de problèmes : pour se rencontrer, et pour la circulation dans le village entre les coteaux et la rivière. Le village est traversé par une rivière, et c’est vraiment pour les habitants le bien commun de la commune par excellence. C’est quelque chose d’assez fort, les gens en parlent beaucoup, c’est identitaire. On va se baigner, on parle de l’état de la rivière, est-ce qu’il y a assez d’eau, pas assez… Cependant, le village est organisé autour de voies parallèles à la rivière, qui sont des grandes voies de circulation de la vallée, et petit à petit on a perdu des voies d’accès transversales. Il y a alors eu une demande dans le PLU de restaurer et recréer les chemins, en rachetant des espaces privés, qui permettent aux habitants de circuler entre la rivière et les forêts. Là, la question du foncier c’est : comment on aménage le village pour retrouver des usages collectifs de l’espace ?

Sur le foncier également, quand on a réfléchi aux scénarios d’urbanisation, on s’est demandés : où est-ce qu’on urbanise demain à Saillans ? Globalement, il fallait urbaniser beaucoup moins qu’avant, on avait 29 hectares constructibles et on a dû réduire à 6 hectares (dont seulement 3 hectares en constructible direct). On a fermé énormément de terres à l’urbanisation. Dans notre PLU, 80% des participants étaient propriétaires, c’est intéressant. Parmi les secteurs possibles où l’on pouvait urbaniser, il a fallu choisir, parmi les 29 hectares, lesquels on maintenait dans l’urbanisation, ce qui a soulevé de gros enjeux économiques et de propriété privée. Dans notre PLU, 80% des participants étaient propriétaires, c’est intéressant. On a donc rassemblé les habitants autour de la table, on a organisé plusieurs réunions avec eux pour choisir quels terrains on mettait à l’urbanisation. Pour que ça ne soit pas « moi je veux ça, moi je veux ça », on a discuté sur la base d’une liste de critères qu’on a travaillé en amont. Au final, la priorité collective s’est portée sur l’urbanisation d’un terrain communal, précisément car c’est la propriété de tout le monde. En plus, sur un terrain communal on maitrise tout, donc on peut faire des projets exemplaires au niveau des modes de construction, de la densité etc. C’est rare qu’on entende le mot « commun » mais la notion d’intérêt générale est par contre extrêmement présente. Elle n’est jamais vraiment définie, mais l’idée derrière c’est quelque chose qui dépasse l’intérêt individuel tout en le prenant en compte. Il y a aussi le sentiment, qui s’est renforcé ces dernières années, que ce qui appartient à la mairie appartient au commun. Il y a une attention de la population à avoir des espaces qui appartiennent à la commune et que les habitants peuvent s’approprier par la suite.

Depuis quelques années, il y a de nombreux projets d’habitants pour faire des communs (une maison des gens du voyage, une maison de santé communale…) sauf qu’on a trop peu de propriété foncière communale. Le terrain dont je parlais est presque le seul. Les mairies devraient mettre de l’argent ou avoir des bons pour acheter des terres et avoir prise sur les projets agricoles par exemple. Il faut absolument que les communs s’en mêlent. Pour cela, il faut avoir prise sur du foncier. A Saillans, l’un des outils qu’on a trouvé est de récupérer les terres disponibles, ce qui permet de négocier, voire d’échanger des terres avec d’autres propriétaires. En ce moment, par exemple, on va recenser avec les notaires les titres de propriétés, pour étudier ceux qui sont désuets et les récupérer. Le département de la Drôme nous accompagne sur cette démarche. Cela nous permet ensuite d’aller discuter avec les habitants, en expliquant que la mairie a désormais des ressources foncières, et leur demander ce qu’on veut en faire ensemble. Là on crée du commun.

Dans un PLU, il faut aussi identifier les communs à préserver et notamment les communs environnementaux : pour nous c’est la rivière, les paysages, les cultures viticoles, les forêts, mais aussi les éléments bâtis et patrimoniaux. Là-dessus, il y a eu un gros travail participatif pour identifier et caractériser ces patrimoines communs à préserver. Cela a été fait sur du gros patrimoine classique, comme l’église, mais aussi sur le petit patrimoine avec un travail de repérage – et ça un bureau d’études n’a jamais les moyens de le faire. Cela portait sur les fontaines, les murets, les façades, les maisons typiques… avec un classement sur ce qui mérite une protection ou ce qui est déjà trop détérioré. Ce recensement par les habitants a permis de mettre en lumière ce qui est important pour eux, pour leur vie, et a favorisé la réappropriation par les habitants des éléments importants pour leur village.

Par exemple, on a identifié qu’il serait vraiment intéressant de créer du commun forestier, notamment pour se chauffer. A Saillans, beaucoup d’habitants subissent une précarité énergétique et se chauffent au bois, ce qui coute cher. Il y a maintenant une centrale villageoise commune (un réseau de chaleur partagé entre la mairie et certains bouts de quartiers) et le projet d’en faire une autre. Là ce sont des communs énergétiques. Donc avec des communs forestiers, on peut imaginer que des habitants utilisent et entretiennent des parcelles forestières, qui permettraient à la fois de se chauffer et d’entretenir des parcelles de forêt sur la durée.

Avec le PLU, quand les gens viennent aux réunions de la mairie, ils viennent pour le village, parce qu’ils ont des choses à dire et parfois avec des points de vue très contradictoires. Le PLU pose la question de « qui tu es aujourd’hui » et « qui tu veux accueillir demain », avec beaucoup de craintes sur l’accueil, la croissance démographique, l’écho médiatique de Saillans… D’autres personnes rappellent qu’un village est en constante évolution, avec de la migration et des gens nouveaux. Aujourd’hui, il y a toujours quelque chose qui fait village, malgré tous ces bouleversements. D’autres encore parlent de la transition écologique et énergétique et veulent que leur village fasse sa part, qu’on bouge ensemble dans cette direction. Avec le PLU, on s’est rendu compte que l’Etat voulait nous imposer un certain nombre de choses, mais au lieu de s’en plaindre, on en a profité pour en faire du positif localement : comment vivre plus nombreux, en consommant moins de ressources ? comment consommer plus localement ? comment imaginer collectivement des solutions à ces défis immenses ?