Entrevue Alba Hierro PamaPam
Dans la collection : Barcelone en commun, ESS et Communs, Forum d’Economies Collaboratives Procomuns Barcelone
Objet(s) de commun : Cartographie, Économie sociale, Accès à la connaissance Enjeu(x) : Convergence commons ESS Action(s) : Cartographie, Formation citoyenne, Action collective Résultat(s) attendu(s) : Partage de connaisances, Auto-organisation, visibilisation de l'ESS
Entretien entre Alain Ambrosi, Frédéric Sultan et Alba Hierro, co-coordinatrice de Pam a Pam ( carte des initiatives de consommation responsable et de l'économie sociale et solidaire en Catalogne), pendant le Forum des Economies Collaboratives Procomuns 2017 à Barcelone.L'entretien est en espagnol, traduit en français.
Métadonnées
Auteur(s) | Alain Ambrosi, SULTAN Frédéric |
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Date de création | 2017/06/28 |
Date de publication | 2019/05/31 |
Durée | 00 :12 :29 |
Langue du contenu | FR, ES |
Pays | Espagne |
Fait partie de | Barcelone en commun, ESS et Communs, Forum d’Economies Collaboratives Procomuns Barcelone |
Média | Audio |
Traduction : Entretien avec Alba Hierro de Pam a Pam – Barcelone, juin 2017
A.H : Ce symbole c’est une punaise, c’est une métaphore des volontaires qui mettent les points sur la carte, ils plantent les punaises. Et le orange, taronja en catalan es la couleur de l’ONG SETEM.
Q° : Est-ce que tu pourrais te présenter ?
A.H : Je suis Alba, je suis la co-coordinatrice d’un groupe, une communauté et un projet qui s’appelle Pam a Pam, c’est un projet de visibilisation des alternatives de consommation. L’idée est, à travers une communauté, de chercher, trouver, connaitre et cartographier les initiatives de l’économie sociale et solidaire (ESS) dans toute la Catalogne. On fait cela sur la base de critères de l’ESS, que nous avons développés et qui consistent en 15 critères qui peuvent être atteint sur une échelle de 1 à 5. La méthodologie est : les personnes volontaires se rapprochent du commerce ou de l’entité, elles leurs font répondre au questionnaire, elles vérifient qu’ils répondent au nombre minimum de critères qui doivent être atteint, soit 8 sur 15, et si c’est le cas, elles mettent le point sur la carte et il apparait. Les consommateurs potentiels peuvent le voir et visiter l’entité.
Q° : Donc ce sont des entités qui travaillent dans différents secteurs ?
A.H : Oui, l’idée quand le projet a commencé en 2012, était de cartographier trois secteurs de l’ESS, les vêtements, l’alimentation et les banques. Mais avec le temps, nous avons ouvert la carte à n’importe quel secteur. Nous avons mis 15 secteurs, mais c’est seulement une façon de regrouper et de montrer ceux qui sont les plus développés. L’idée est que tout puisse être évaluable sur la base de ces critères. Donc la carte va de petites boutiques de légumes bios, à des coopératives de services plus technologiques, et jusqu’à des collectifs ou des réseaux qui ne sont pas à proprement parler de l’ESS, au sens où ce ne sont pas des alternatives économiques qui cherchent des bénéfices, mais ce sont des organisations collectives qui essayent d’articuler l’ESS ou d’autres coordinations. Le questionnaire est donc fait pour donner de la place à toutes ces réalités.
Q° : Comment, quel est le processus pour monter tout cela ? Vous avez un questionnaire, mais comment allez-vous chercher les informations ?
A.H : Ce qui est intéressant à Pam a Pam c’est que le projet a grandi de manière organique. D’abord, il est né d’une ONG qui s’appelle SETEM qui travaille à dénoncer les inégalités Nord/Sud. SETEM a lancé une campagne du type «cela t’intéresse d’avoir une consommation responsable ? Aide nous à en créer la carte». De cela est sorti un premier groupe moteur avec lequel nous avons commencé à travailler les critères. Avec le temps, ce que nous avons fait est de mettre en place des temps de formation pour les personnes intéressées. Une fois que les critères ont été définis, le réseau de l’ESS catalan s’y est intéressé. Ils ont pensé que cela serait un outil qui leur permettrait de cartographier leur propre réalité. De fait, comme il y a un certain nombre de gens qui connaisse la carte, et un certain nombre d’entre eux qui sont intéressé pour apprendre sur l’ESS, quand nous avons lancé les temps de formation, 20 à 30 personnes venaient. Nous le faisons 3 ou 4 fois par an et l’idée est que ceux qui veulent continuer s’organisent en groupe autogérés, qu’ils aillent faire les entretiens. Dans un premier temps, quand ils font l’entretien, ils peuvent mettre les réponses sur le site web et expliquer la raison de chaque chose – par exemple, cette initiative a un 3 en impact environnemental car elle consomme bios, elle réduit sa consommation pour éviter les déchets et elle utilise de l’énergie propre - et tout cela ils doivent l’expliquer pour qu’une personne qui est présente depuis plus de temps puisse évaluer le point et dire s’il entre ou non sur la carte. Certains volontaires qui sont présents depuis longtemps ont l’autorisation de publier directement. C’est un processus d’apprentissage et d’intelligence collective. C’est-à-dire que les groupes autogérés – par exemple à Barcelone, il y a un groupe qui doit être de 10-15 personnes maintenant, selon l’activité de chacun – se réunissent périodiquement et discutent de leurs doutes. C’est-à-dire, «celui-là c’est un 3 ou un 4 ?». Donc collectivement, ils décident pourquoi cela doit être un 3 ou un 4. Et si c’est une décision collective, normalement, la personne qui fait la révision du point la respecte et voilà !
Q° : Alors, à quoi sert la carte et qui peut l’utiliser ?
A.H : Nous disons qu’il y a différents niveaux d’utilité. D’un côté, il y a une utilité pour les consommateurs responsables qui seraient intéressés pour avoir une consommation critique. Cela leur permet d’avoir une carte qui leur permet de voir les initiatives et les boutiques qu’ils ont près de chez eux et les critères qu’atteignent ces boutiques. Parce que peut-être que toi, tu t’intéresses beaucoup à la partie écologique et d’autres s’intéressent beaucoup à la reproduction du travail et aux droits des travailleurs. Donc tu as une carte qui te montre près de ta maison qui vend des pantalons, sous quels critères ils travaillent et pourquoi ils apparaissent sur la carte. Ça c’est la première phase. La deuxième phase c’est que toi en tant qu’initiative tu es plus visible, tu peux faire ton évaluation car au moment où tu fais l’entretien avec Pam a Pam, tu ne mets pas seulement en valeur –ce qui est aussi parfois très important – tout ce que tu as fait, mais aussi tout ce que tu pourrais faire. Tu te rends visible pour des consommateurs potentiels et en même temps, tu vois tous les potentiels collaborateurs que tu pourrais avoir car il y a d’autres entités de l’ESS. Tu peux être une libraire et être intéressé pour connaitre un imprimeur et quelqu’un qui offre des services de téléphonie. Avoir une carte te permet d’entrer en contact avec eux. Enfin, il y a les personnes qui sont intéressées pour apprendre les principes de l’ESS. Ce sont ceux qui se rapprochent de nous et reçoivent la formation. Et ceux qui ensuite contribuent activement à alimenter la carte. Et puis, les personnes qui participent déjà depuis un moment peuvent être membre de commissions transversales. Par exemple, je suis dans la commission web, avec toute la partie du lien vers les pro-communs et comment fonctionne technologiquement l’outil. Il y a la commission activité : en plus de toutes les activités en ligne, hors ligne nous faisons des «routes de l’ESS». C’est-à-dire que nous allons dans un quartier et nous visitons différentes entités qui sont dans Pam a Pam pour qu’elles-mêmes puissent nous expliquer ce qu’elles font, pourquoi elles le font de cette manière et comment, et pour que les voisins puissent se rendre compte de cette valeur. Il y a aussi d’autres activités, des discussions, des formations sur des thématiques concrètes, … Et enfin, il y a une commission qui prend en charge la communication. Donc les personnes peuvent travailler plus en profondeur certains thèmes de Pam a Pam.
Q° : Quel type d’accès a le public à toutes ces informations ? Quelle promotion, diffusion faites-vous ? Vous le faite sur internet ?
A.H : Il y a un site web et une application mobile. L’application mobile peut être téléchargée. Il y a la géolocalisation car l’idée est «Qu’est-ce qu’on a à côté de chez soi». Les gens peuvent autant penser à ce qu’ils veulent consommer que se dire «tiens, je suis dans cette rue. Il y a ici une boutique qui pourrait, me parait-il, entrer sur la carte. Je vais proposer qu’ils fassent un entretien» et proposer un entretien.
Q° : Une personne qui par exemple, vit près du quartier de Gracia, comment peut-elle accéder à tout cela ?
A.H : Il y a le site web qui est https://pamapam.org/ca/ et l’application qui peut être téléchargée. Tout est là.
Q° : Il y a d’autres types de cartographie – nous sortons d’un atelier sur tout ce qui existe – mais elles sont avec la Mairie ou d’autres institutions, comment vous organisez-vous avec ces cartographies ? Comment travaillez-vous ensemble ? Tu parlais aussi d’autres échelles internationales
A.H : Oui, au niveau local quand je parle de cartographie, je me réfère littéralement au fait qu’il y ait une carte et que Pam a Pam s’appelle Pam a Pam parce que cela inclut le mot «carte» [mapa en espagnol], c’est central. Un autre outil de l’ESS est le bilan social, qui fait une cartographie mais une cartographie utilisée comme base de données. Il n’y a pas de carte. Les deux outils sont assez complémentaires. C’est-à-dire que Pam a Pam fait une approximation depuis l’extérieur et elle se fait seulement une fois, même si certains demandent à être interviewés de nouveau. Le bilan social es un outil de suivit annuel que chaque entité complète elle-même pour s’autoévaluer. Donc ils sont complémentaires, même si à la fin de l’année nous réalisons le rapport du bilan social en additionnant les données et en prenant en compte les deux outils. Ensuite, la stratégie de Pam a Pam au-delà des frontières de la Catalogne c’est, d’une part d’être duplicable. C’est-à-dire que n’importe qu’elle personne qui souhaiterait faire un processus similaire dans un autre territoire de l’Etat espagnol ou dans un autre pays, peut récupérer la trame de l’outil technologique. Nous nous ferions un transfert de l’évaluation et de tout le savoir-faire que nous avons accumulé et nous les laisserions se géré eux même. Certainement avec des synergies. Mais pour le moment, cette situation ne s’est présentée que sur un seul territoire, qui est en train de commencer maintenant, qui est Valence. Donc on ne s’est pas encore vraiment préoccupé de développer cette partie. Ensuite au niveau de la connexion avec d’autres cartographie, nous sommes dans un projet d’Inter-mapping, qui est un projet promut par le RIPESS, le Réseau Intercontinental de l’ESS, qui cherche à agglutiner les différentes cartographies alternatives de consommation mais dans un sens très large, me semble-t-il. Parce que Pam a Pam a des critères très strictes et que tout le monde ne peut pas entrer. L’idée [d’Inter-mapping] c’est surtout au niveau du défi technologique : partager l’information pour qu’elle soit visible sur une carte commune, de telle sorte que, comme objectif final, si tu es en Catalogne, tu as Pam a Pam mais si tu sais qu’il y a une carte internationale, tu peux aller en Italie et penser «Tiens, ou puis-je acheter une pizza en Italie ?», et avoir cette carte qui, sans que tu sois d’Italie, ni que tu connaisses le réseau local exact qui cartographie, te montre cela. Donc nous sommes en train de voir que surement on devra utiliser des technologies open data pour pouvoir voir ces informations et pouvoir mieux les additionner. On travaille là-dessus. On travaille aussi au niveau international avec le programme Panorama qui en plus de la cartographie, c’est-à-dire de sa propre technologie de cartographie, travaille aussi des critères uniques. C’est-à-dire unifier les critères qui définissent l’ESS au niveau international. Mais bon, c’est un processus long, il y a des choses qui peuvent se généraliser et d’autres non. Par exemple, il y a un indicateur de Pam a Pam qui est l’utilisation du catalan, parce que le catalan en Catalogne est une langue minoritaire et s’il n’y a pas de politiques publiques pour la défendre, elle pourrait disparaitre. Donc promouvoir l’utilisation du catalan fait sens ici. Évidemment, si toi, tu réutilises ces critères au Canada, dans ta région, cet indicateur n’a pas de sens. Il doit être adapté à ta réalité et aussi au niveau de maturité de l’ESS dans chaque territoire. Les critères antérieurs qui sont sortis en 2013 étaient beaucoup plus laxistes. Avec le temps, avec l’aura qu’a acquis l’ESS, avec le fait que beaucoup de gens veulent être reconnus comme faisant partie de l’ESS sans en faire réellement partie, les critères maintenant sont beaucoup plus strictes. Parce qu’il y a beaucoup d’entités qui travaillent bien et qui mettent beaucoup d’efforts pour être horizontales, avoir réellement un impact environnemental très bas, être inclusives et nous avons donc l’idée de ne pas mettre ESS pour tout. Donc on a mis un niveau de critère plus haut parce qu’on pouvait se le permettre. Peut-être que dans d’autres pays, il faudrait faire un pas en arrière, cela dépend de la réalité.
Q° : Comment imaginez-vous l’évolution de ces critères ? Est-ce que vous les discutez en groupe ? Comment travaillez-vous cela ?
A.H : Les critères, la première fois qu’ils ont été fait, cela a été un processus collectif de, comme consommateurs, qu’est-ce que nous voulions prendre en compte. Donc, il y a plusieurs choses qui sont sorties. Il y a des gens pour qui il était important qu’il y ait des produits écologiques, il a des gens pour qui il étaient important qu’il n’y ait pas de travail d’esclaves derrière ce qu’ils consommaient, il y avait des gens pour qui l’important était les personnes qui étaient là, comment on les traitait. Donc, il y a plusieurs critères qui sont sortis. En en choisissant certains, en rejoignant des choses, en en séparant d’autres, il y a 15 questions qui sont sorties. Dans une seconde phase, au-delà des questions, nous nous sommes rendu compte que cela ne pouvait pas être «oui ou non», parce que c’était peu de chose. On était en train de mettre au même niveau une boutique qui avait un pourcentage x de produit agro-écologique et un paysan qui travaille pour la promotion de l’agriculture agro-écologique. Cela donne peu de perspective. Donc on a fait des indicateurs. Pour chaque question, il y a 5 indicateurs et tu peux l’obtenir ou pas, mais si tu l’obtiens, cela peut être au niveau 1, 2, 3, 4 ou 5. Donc cela donne de la valeur. Même avec cela, sur la base des entretiens réalisés, tu te rends compte de choses qui ne marchent pas. Avant il y avait deux questions qui se mélangeaient beaucoup, la question des fournisseurs de proximité et la question des fournisseurs du commerce juste. Cela créait des doutes. Donc avec ces doutes et les commentaires des personnes volontaires qui nous disaient ce qui ne leur plaisait pas, l’année dernière, au début de l’année, nous avons fait un ensemble de session pour repenser le questionnaire, prendre tout ce qui ne nous plaisait pas, penser des alternatives et aussi intégrer les débats qui n’avaient pas été inclut jusque-là. Ce processus a commencé au début de l’année passée et s’est terminé il y a 2 mois. C’est-à-dire qu’il a duré quasiment un an et demi. Ça a été un processus pour repenser ce qui ne nous plaisait pas, intégrer des choses nouvelles. On l’a ouvert à toute la communauté, c’est-à-dire que tout le monde a pu apporter, ensuite l’équipe technique, ceux qui avaient le plus de temps, a essayée de peaufiner la rédaction, a essayée d’inclure tous les paramètres dans les critères. C’est essayer que tout tienne dans 15 critères et 5 indicateurs pour chacun. C’est un travail de rédaction et de réflexion sur ce qui est le plus important, quel ordre donner. Une fois qu’on a eu une proposition, on a envoyé chaque question à des experts dans chaque domaine, de telle manière qu’ils puissent nous dire ce qu’ils pensaient, si c’était bien exprimé, s’il y avait des choses que nous avions oublié, qu’ils puissent nous dire ce qu’ils pensaient que nous devions dire. Il y a eu beaucoup de commentaires politiques. C’est-à-dire «ces mots ont une connotation dans notre secteur, vous devriez le dire de cette autre manière». Donc toutes ces visions ont été incorporées et au final, le résultat a été partagé de nouveau avec la communauté en disant, «bon communauté voilà ce qu’on a, est ce que ça vous plait ou non ?» Et cela a été validé avec quelques apports de la communauté.
Q° : Que veut dire Pam a Pam ?
A.H : Pam a Pam littéralement c’est paume à paume, mais c’est aussi la base d’une expression catalane pour dire peu à peu. L’idée était d’aller petit à petit et avec attention d’essayer de cartographier. C’est-à-dire cartographier en connaissant bien ce qui se passe. Pas faire une cartographie qui ajoute des points «Toi, tu es de l’ESS, met toi là et voilà». Non, nous venons connaitre, on fait un entretien, on pense ensemble réellement, on débat en groupe et si réellement on croit que oui c’est de l’ESS, cela apparait sur la carte. Et le consommateur critique peut savoir que cette initiative est ici, pas parce qu’elle s’y est mise, mais parce qu’il y a eu un processus collectif de connaissance de cette initiative.
Q° : Est ce qu’il y a des propositions politiques émergeant de votre travail ?
A.H : Non, je crois que c’est plus un processus d’intériorisation du débat qui existe dans la société. C’est-à-dire qu’on ne travaille pas tant à être pionniers, qu’à récupérer les inquiétudes qui vont en évoluant et à perméabiliser ces débats dans Pam a Pam, plus que de faire une proposition pour l’extérieur. C’est-à-dire que les experts qui travaillent dans un domaine social clôturé sont d’autres personnes. S’ils voient quelque chose qui n’est pas dans Pam a Pam, ils peuvent nous le dire et on l’incorpore. Mais on n’a pas la qualité d’experts. Surtout parce qu’on couvre une chose tellement large : la sphère personnelle, la sphère sociale, la sphère de l’environnement. On essaye de toucher tous les secteurs de l’économie, c’est très difficile à concrétiser et je crois que dans beaucoup de politiques, être pionnier, souvent, implique de couper quelque chose. On est plutôt holistique, on travaille avec une vision holistique et on essaye de prendre dans toutes les parties ce qu’elles peuvent nous apporter.
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