Entrevue Mayo Fuster Dimmons
Dans la collection : Barcelone en commun, Forum d’Economies Collaboratives Procomuns Barcelone
Objet(s) de commun : Communs numériques, procomuns Enjeu(x) : Plateforme, Communs et marché, Communs et État, Municipalisme Action(s) : Forum Résultat(s) attendu(s) : Régulations, Co-production des politiques publiques, Indicateurs procomuns
Entrevue avec Mayo Fuster Morell, directrice de Dimmons pendant le Forum d’Economies Collaboratives Procomuns 2017 à Barcelone. Entretien réalisé en espagnol et traduit en français.
Métadonnées
Auteur(s) | Alain Ambrosi, SULTAN Frédéric |
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Date de création | 2017/06/27 |
Date de publication | 2019/06/12 |
Durée | 00:24:29 |
Langue du contenu | FR, ES |
Pays | Espagne |
Fait partie de | Barcelone en commun, Forum d’Economies Collaboratives Procomuns Barcelone |
Média | Audio |
URL de diffusion | https://wiki.remixthecommons.org/images/Mayo_Fuster.mp3 |
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Contexte de production | Forum d’Economies Collaboratives Procomuns 2017 |
Producteur(s) | remix the commons |
Participant(s) | FUSTER Mayo |
Contributeur(s) | Camille Laurent |
Site Web | Adresse du site |
Mayo Fuster, Directrice de Dimmons, groupe de recherche de l’Université ouverte de Catalogne (UOC)
Je suis Mayo Fuster Morell, je suis la directrice de Dimmons, un groupe de recherche sur l’économie collaborative procomún [de pro pour provecho, « profit » ou « bénéfice » en espagnol et commun] de l’Université Ouverte de Catalogne, qui est l’un des co-organisateurs, avec la Mairie de Barcelone et le groupe Barcola, du Forum de l’économie collaborative procomún.
Q°: C’est la seconde édition du Forum. L’année passée il a été productif avec des séminaires, des documents finaux. Cette année, qu’espères-tu de la rencontre ?
MFM : Cette année le Forum des communs, s’articulera autour de 4 objectifs. L’évènement est un évènement-action et il a été organisé pour la réalisation de ces objectifs. D’une part, l’articulation de l’économie collaborative procomún parce que d’une certaine manière il manque des institutions des communs qui aident les initiatives de l’économie collaborative à résoudre les problèmes de l’ensemble de l’environnement. Il y a beaucoup à faire cette année. Une des choses qui est en développement est ce que l’on appelle le bilan procomún de l’économie collaborative. C’est un instrument qui nous aide à différencier avec des indicateurs clairs et comparables, les modèles économiques qui peuvent être caractérisés comme relevant de l’économie collaborative et de l’économie procomún, de ceux qui relèvent de l’économie de plateforme, qui n’ont pas de dimension collaborative, ni de dimension procomún. En ce sens, cet instrument qui sera l’un des résultats de la rencontre, pourra, me semble-t-il, avoir une utilité très claire pour résoudre une série de problématiques. D’une part pour l’administration parce que l’un des problèmes est qu’il n’y a pas d’indicateurs clairs pour différencier les modèles. Par exemple, les politiques de promotion qui veulent surtout promouvoir les modèles procomún nécessitent des indicateurs pour quand il y a un appel à financement ou un appel à formation ou à d’autres formes de ressources. Avoir cet instrument pour pouvoir sélectionner les participants et prioriser ceux qui ont une vision majoritairement procomún est d’une utilité évidente. La Mairie de Barcelone l’adoptera tel quel. L’autre utilité est du côté des entrepreneurs et entrepreneuses, les personnes qui essayent de mettre en œuvre ces initiatives. Dans un sens, le bilan procomún offre aussi de nouveaux indicateurs clairs de modèles économiques qui sont dans une logiques procomún, de modèles de gouvernance qui sont dans une logique procomún, de plateforme technologiques qui permettent de résoudre les problèmes en allant dans cette direction. Donc c’est un outil très pratique pour les initiatives elles-mêmes. De ce point de vue, c’est un premier objectif et un premier impact. Le second impact a à voir avec les recommandations pour l’administration publique. Cette année est l’année de la régulation de l’économie collaborative. Nous préférons parler de politiques publiques que de régulations parce que la notion de régulations a un caractère très restrictif. On doit avoir en tête que, au niveau européen, le parlement européen vient de rendre public une résolution parlementaire. Mais cela ne se finit pas là, c’était tout un processus de définition de l’agenda européen de l’économie collaborative qui est orientatif mais qui n’a pas de caractère obligatoire. Maintenant, va vraiment commencer un processus de définition qui lui, sera contraignant. Donc, dans ce sens il y a une fenêtre d’opportunité politique et une nécessité de régulations qui ne rendent pas le processus plus difficile, de régulations qui reconnaissent l’existence du modèle procomún d’une part, et qui s’y adaptent bien, d’autre part. Donc nous ferons parvenir la déclaration finale de la rencontre aussi bien au niveau européen, qu’en Catalogne, notamment parce que la Generalitat [le gouvernement régional catalan] est, ces jours ci, en train de terminer les négociations des régulations qui s’imposeront en Catalogne. Ici même, nous venons de terminer un débat avec le principal responsable des régulations catalanes. Il mène les travaux et nous avons pu lui faire parvenir un ensemble de propositions. Au final, tout cela sera donc bien articulé pour le leur envoyer. Un autre niveau est celui des Mairies. Celle de Barcelona est clairement engagée comme co-organisatrice, donc il y a une voie pour avoir un impact. Mais nous devons penser aussi que dans le cadre de l’évènement il y a une rencontre des villes de Catalogne pour établir des collaborations entre villes. Quand je parle de villes, je parle des administrations. Enfin, un dernier objectif est de développer et d’affronter un ensemble de défis auxquels les villes font face. Si les plateformes digitales, si les méthodologies collaboratives ne nous servent pas pour résoudre les problèmes et pour organiser de bonnes conditions de vie dans les villes, pourquoi les voulons-nous ? Nous avons donc voulu articuler un ensemble de problématiques. La première c’est l’accès à une maison, le droit au logement. C’est un problème très grave que nous avons dans les villes, la gentrification et des familles qui sont en réelle difficulté pour avoir une maison. Moi-même, je suis dans une situation difficile et c’est une situation généralisée dans certains quartiers. Dans quelle mesure les plateformes digitales peuvent-elles être des voies d’organisation de cohabitations ou de logement partagés ? Ou des moyens de trouver des personnes avec lesquelles partager un logement ? De quelles manières peuvent-elles être des formes, ou des moyens d’appuyer les syndicats de locataires, comme il est en train de s’en créer à Barcelone pour résoudre les problèmes ? Un autre domaine est celui des soins. Diminuer la précarité, favoriser les soins collaboratifs, la solidarité entre groupes de familles dans l’attention aux enfants. Il y a ici un environnement particulièrement propice aux initiatives, celui du domaine de l’économie du soin des initiatives collaboratives. Un autre domaine est celui de l’exclusion sociale. Il y a un pourcentage trop important, et il est toujours trop grand, de personne en situation d’exclusion. On ne parle pas ici de risque d’exclusion. Il s’agit de personnes qui sont déjà exclues du système économique et du système de garantie. Dans quelles mesures pouvons-nous, d’une part, nous assurer que nous ne créons pas une autre exclusion à travers l’exclusion digitale ? Et pouvons-nous trouver des solutions pour en sortir des personnes en situation très problématiques ? Là, ce n’est pas un nouveau domaine de co-design de nouvelles solutions pour les défis de la ville. Ce n’est pas un domaine dans lequel ont peut avoir des impacts aussi immédiat que les autres domaines que j’ai présenté, qui eux ont des référents clairs de, où peut-on, et à travers quelles fenêtres d’opportunité peut-on être connectés. Dans ce domaine, celui de l’exclusion, il s’agit de co-desiner des solutions et de mieux comprendre les champs dans lesquels l’exclusion survient.
Q° : Tu as énoncé quelques domaines spécifiques, y a-t-il des actions spécifiques qui ont amené des propositions ?
MFM : Oui, l’année passée il y a eu 10 domaines. Le premier était … Reprenons au début : la déclaration procomún de 2016, s’est terminée avec 120 recommandations politiques pour les administrations. Mais qui s’articulaient autour de 10 lignes. Une première ligne était : des régulations qui s’ajustaient au modèle de l’économie procomún, parce que dans de nombreux cas, les régulations sont les voies particulières par lesquelles on empêche le changement d’échelle de ces modèles. Avec des choses aussi concrètes disons, que la loi des coopératives qui n’inclue pas de modalités qui s’ajustent au coopérativisme de plateforme. Ou avec des sujets tels que les achats publics. La régulation des achats publics ne permet pas à des initiatives de l’économie collaborative procomún de pouvoir réellement participer, de pouvoir rivaliser. On ne demande pas que se fasse une discrimination positive, ce n’est pas ce qu’on demande - on pourrait dire qu’il doit y avoir une discrimination positive dans les processus d’achat public pour le modèle procomún car il est plus bénéfique - mais au moins, d’abord, qu’il ait la possibilité de rivaliser avec les autres modèles. Et ce n’est pas le cas avec la régulation actuelle, dans des cas comme Guifinet par exemple. Donc, comme je le disais, une première ligne de recommandations dans les 10 lignes de l’année passée, est le domaine de la régulation qui ne s’ajuste pas bien. Une autre ligne est la provision de ressource d’entreprenariat et d’impulsion de la promotion de l’économie collaborative procomún. C’est possiblement l’une des lignes qui a été la plus portée par Barcelona Activa [agence de l’emploi, de politiques économiques et de développement local de la Mairie de Barcelone] ou nous nous sommes retrouvé avec un programme spécifique pour l’Economie collaborative procomún qui s’appelle la Comunificadora, qui a permis de donner des conseils pendant plusieurs mois de l’année à une série d’initiatives. Il y a aussi une ligne qui vise à faciliter la projection internationale et à faciliter la distribution sur le territoire pour que l’économie collaborative ne se concentre pas dans certains quartiers mais qu’elle arrive à tous les quartiers. Une autre mesure était le financement, la provision de financement avec des méthodes nouvelles de matchfunding pour que le capital arrive à ces initiatives. Cependant, pour moi, il y a une mesure qui attire mon attention parce qu’elle ne se met pas en place, et pourtant je crois qu’elle est très importante. C’est une mesure pour combattre la corruption et les portes giratoires dans l’économie collaborative, car c’est un problème très grave. Au niveau de la commission européenne, la principale responsable de l’agenda digital européen, la commissaire, 6 mois après avoir laissé son poste, a été travailler pour Uber. Le président Barroso lui-même, président de la commission européenne, après avoir laissé son poste, a été travailler pour Goldman Sachs qui est l’un des financeurs de Uber. Ce sont des éléments très problématiques du point de vue de la ville démocratique. Dans ce sens, je crois qu’il manque une action majeure proactive pour visibiliser ces mauvaises pratiques et un programme pour les combattre.
Q° Est-ce que tu pourrais nous parler un peu de la relation et des interactions qui existent entre la Mairie et l’académie, les points de médiations, les citoyens, … ?
MFM : Bon, une des caractéristiques du rapprochement de la Mairie de Barcelone au thème de l’économie collaborative est la volonté de faire que la politique de l’économie collaborative soit elle aussi collaborative. Je vais expliquer une anecdote. Je suis professeure à l’Université Ouverte de Catalogne, aussi affiliée au centre Berkman de Harvard et j’ai fait de nombreuse recherche sur l’économie collaborative. Et, en qualité d’experte, la Mairie de Barcelone m’a contacté pour que je leur donne des conseils, que je leur serve d’experte pour les politiques. Et j’ai dit, « non, ça n’a pas de sens ». Parce que au mieux je peux expliquer un ensemble de choses, mais ce dont ils ont besoin c’est de liens avec toutes les connaissances d’intelligence collective qu’il y a dans les villes sur ce thème. Beaucoup de membre du meetup, ne sont pas dans l’administration. Donc, ce que je leur ai proposé, plus que de faire un accord sur comment les informer en tant qu’experte, c’est de construire un écosystème de co-création de politiques publiques, qui tout au long de l’année, s’est construit à différents niveaux. Un premier niveau est la création de Barcola: Barcelona collabora, qui est un groupe de travail entre la Mairie de Barcelone et 50 représentants du domaine de l’économie collaborative procomún. Il y a Guifinet, il y a Goteo, il y a We Share, il y a Ideas For changes, il y a beaucoup de groupes. Il y a aussi 4 universités. 4 universités qui font le lien entre 4 projets européens et ce que fait Barcola, disons le lien avec les outils et expérimentations qui se font dans ce contexte. Et cela, je considère que c’est très important, parce que la recherche n’apporte pas seulement des ressources pour mener au bout les relations, elle créée aussi les conditions pour expérimenter. Souvent, ce n’est pas évident de pouvoir avoir un environnement comme celui de la recherche qui permette de tester les modèles et de co-créer des choses. C’est un premier niveau, celui de Barcola et le lien et le partenariat avec le monde universitaire. Concrètement, il y a un accord entre la Mairie et Dimmons pour faciliter la création de cet écosystème et faciliter une recherche qui apporte au plan d’Economie collaborative de la Mairie de Barcelone. Un autre second niveau est procomún. C’est là où nous sommes ici, maintenant : L’organisation d’un forum ouvert annuel où, durant 2 jours, on peut faire un travail intensif de propositions. Mais procomún n’est pas seulement un évènement annuel. Nous faisons aussi des meetups, des rencontres ouvertes via la plateforme en ligne Meetup. Nous y avons discuté les thématiques qui sont sorties tout au long de l’année et que nous souhaitions ouvrir au débat. Un autre niveau de l’écosystème est Barcelona Decidim. C’est une page web pour pouvoir décider conjointement des propositions. L’année passée, des 120 propositions qui sont sorties du Forum procomún ont été mises sur Decidim et sur Decidim n’importe quel citoyen de Barcelone - on y met n’importe quel type de politique, y compris les politiques pour savoir si un chien peut accéder à la plage - n’importe quel type de politique que la Mairie met sur la plateforme, peut être commentée. Donc, les propositions qui ont été faites depuis le Forum Barcelona procomún de l’année dernière ont été mises sur Decidim. C’est un autre canal, plus digital, de participation. Enfin, le dernier niveau qui a été créé est la commission interdépartementale à l’intérieur de la Mairie pour aider à coordonner la mobilité avec les transports, avec les bibliothèques, avec les emplois, parce que la thématique de l’économie collaborative est très transversale, elle affecte de nombreux domaines. Donc, cet élément de la co-création d’un écosystème qui aide à co-créer des politiques est très caractéristique de Barcelone.
Q° [A propos de Yochai Benkler]
MFM : On est très content qu’il soit là. Il est venu non seulement pour faire une présentation, mais aussi parce qu’il a des entretiens et des rencontres avec les autres expériences les plus, disons les plus significatives de la ville. Et comme résultat de sa visite, il y a un accord entre la Mairie et le centre Berkman [for Internet & Society de l’Université de Harvard] dont il fait partie.
Q° [A propos du féminisme dans le modèle procomún]
MFM : Dans la mesure ou la théorie procomún ou des communs se présente comme un troisième modèle qui rompt la binarité entre marché et état, il me semble qu’elle reproduit un manque de vision féministe de l’économie. Parce que, de la même manière que nous critiquons les théories économiques qui présentent le modèle productif du marché comme indépendant de toute la reproduction sociale qui se fait dans le domaine de l’économie domestique et de la famille, les communs se présentent comme un troisième modèle qui ne reconnait pas l’importance et la centralité du travail domestique. Pour qu’il y ait des contributeurs de Wikipédia quelqu’un doit préparer le repas. Dans ce domaine aussi on a besoin d’un environnement de soin et de reproduction. En ce sens, il me semble que la théorie des communs a besoin de cet élément féministe, d’intégrer tous les éléments qui ne sont pas seulement les trois modèles état, marché et commun, mais aussi le modèle de reproduction sociale, et aussi la question de l’environnement. Le système environnemental est aussi un modèle qui génère des ressources et est en soit, une ressource vivante que nous devons préserver, avec laquelle nous devons avoir une vraie relation et reconnaitre son importance. Sans le système environnemental, l’économie s’effondrerait, elle n’existerait pas. Donc, je crois que la théorie des communs, les éléments de la technologie procomún, se base sur un manque de reconnaissance et de vision féministe. C’est à un premier niveau. A un autre niveau, certaines des pratiques de l’économie procomún, ont montrés peut d’inclusion de genre. Les communautés d’accès libre n’incorporent que 1% de femmes ou 5% de femmes. Les communautés privées qui ont développés des logiciels fermés ont 30% de femmes, elles ont démontré que le système du marché est plus inclusif pour les femmes que le système ouvert et collaboratif. Wikipédia a 13% de femmes, alors qu’il pourrait y en avoir plus parce que, pour le contenu technique de Wikipédia il n’y a pas besoin d’avoir tant de connaissances techniques. Il est vrai que Wikipédia est très conscient de ce problème et est en train de mettre en place un programme très intéressant pour augmenter la participation des femmes dans le développement. Mais cela n’enlève pas que dans la théorie sur la réflexion sur les communs, au-delà de la figure d’Ostrom, il est très courant de trouver des publications et des livres ou l’on ne cite pas une seule personne qui soit une femme à part Eleonor Ostrom. Je pense que c’est un problème et je crois que c’est un objectif qui doit être transversal à n’importe quel projet relié aux communs. De fait pour nous, pour procomún ça l’est. Nous faisons un effort vraiment très très très énergique pour nous assurer de la participation des femmes. Nous avons une session sur l’économie du soin, qui bien sur implique tout le monde, mais qui est tout de même un domaine ou malheureusement il manque de prise de responsabilité de la part des hommes. Nous avons 40% de femmes qui participent à procomún et nous avons porté une attention particulière à ce qu’il y ait des femmes dans chaque session et que la thématique soit incorporée transversalement dans le contenu, car nous savons que ce sont des thèmes problématiques.
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