Intervention publique - Communs - puissance publique - Frédéric Sultan

De Remix Biens Communs
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Dans la collection : Assemblée des communs (coll.)

Objet(s) de commun : Espace public,  Hospitalité  Enjeu(x) : Territoire,  Charte,  Tactical chartering  Action(s) : Assemblée des communs  Résultat(s) attendu(s) : Communs urbains  

Métadonnées

Auteur(s) SULTAN Frédéric
Date de création 2016/01/30
Date de publication 2016/01/30
Langue du contenu FR
Pays France
Fait partie de Assemblée des communs (coll.)
Média Texte
URL de diffusion http://wiki.remixthecommons.org/images/Presentation_Fr%C3%A9d%C3%A9ric_Sultan_journ%C3%A9e_de_travail_Communs_-_puissance_publique.pdf
Identifiant de diffusion Fichier:Presentation_Fr%C3%A9d%C3%A9ric_Sultan_journ%C3%A9e_de_travail_Communs_-_puissance_publique.pdf
Contexte de production Communs et puissance publique - journée de travail Ars Industrialis
Producteur(s) Remix the commons
Participant(s) SULTAN Frédéric
Type de licence CC-BY-SA


Présentation

Pour répondre à la demande du groupe de travail sur l'économie contributive d'Ars Industrialis, je vais vous proposer de réfléchir aux conditions de transformation des territoires par les communs à partir de mon expérience de militant.

Je vous propose de commencer par essayer d'éclairer ce qui est en jeu à partir d'une situation particulière et ensuite quelques pistes de réflexion et d'expérimentation autour de 2 axes : le premier concerne les conditions du commoning et le deuxième la puissance des discours qui fondent la légitimité des communs.

Introduction,

Pour commencer, Voici 2 photos.

Les deux photos ont été prises dans le 18ième arrondissement de Paris, , dans le quartier où j'habite depuis plus de 15 ans ; et, depuis un an, avec quelques personnes, nous avons initié une démarche qui vise à identifier, comprendre ce que sont les communs et comment et pourquoi les activer. Nous avons nommé cette démarche Dormoy Labs (Dormoy vient de Marx Dormoy, nom d'une des station de métro du quartier)

La première est prise à proximité du métro La Chapelle à Paris. C'est un espace dans lequel chaque jour, des vendeurs à la sauvette s'installent pour vendre des choses d'origine plus ou moins légale. Ils occupent donc un espace public avec toutes sortes de conséquences pour les habitants du quartier.

La deuxième est une image de voitures du Service de voiture partagée (SVP) stationnées rue Pajol. SVP est un service de partage de voitures offert par cinq opérateurs — Communauto, Zipcar, Ubeeqo, Bluecarsharing et IER qui ont obtenu à la fin de 2015 de la Ville de Paris l'usage de 226 places de stationnement en surface.

Dans les deux cas, nous constatons l'usage de biens communs : le trottoir et la rue. Trottoir et rue font partie de la catégorie des biens communs au voisinage. Par ailleurs, ces deux situations sont très différentes. Elles visent à résoudre deux problèmes : d'un coté, la survie économique des migrants pauvres, et de l'autre la protection de la qualité de l'air dans la capitale.

Alors, la question que nous nous posons au regard de ces deux situations est la suivante :

De quels mécanismes la communauté (à laquelle j'appartiens) a-t-elle besoin pour prendre part à la résolution de ces deux problèmes qui occupent (au double sens du terme) notre territoire ?

Face à cette question, les communs urbains, parce qu'ils sont un mode de production de la ville, nous offrent à nous habitants, un espace d'élaboration de réponses concrètes collectives à ces problèmes. Je dirai même plus, les communs urbains sont un projet qui consiste à interroger ces situations au regard de critères de justice sociale et environnementale.

Comment activer cet espace ? C'est toute la question que nous nous posons avec Dormoy Labs

Première piste : nous avons besoin de comprendre les conditions du commoning et du processus que nous cherchons à activer.

Je formule une première proposition : cet espace / projet / processus est l'assemblée des communs. Il a vocation à permettre à la communauté de se doter de la capacité de prendre la mesure des effets des politiques publiques, et plus largement des initiatives qui la concernent, et de proposer des alternatives.

L'assemblée des communs est un espace collectif qui rempli 3 fonctions :

  • une fonction de veille et d'alerte sur l'impact des politiques publiques et des initiatives qui concernent la communauté et l'usage des communs
  • une fonction de négociation des politiques présentes ou à venir avec les institutions publiques
  • une fonction de préparation et d'expérimentation de scénarios, de politiques, et de projets alternatifs.

Diapo Dormoy lab

A quoi cela peut-il ressembler ?

A Dormoy labs, nous avons ébauché avec les habitants des modalités d'identification et de quantification des communs à travers des événements (balades, interviews, ateliers, collectes de données) et des processus de data-visualisation. Ce sont des gestes à peine esquissés.

Nous imaginons mettre en place une banque populaire des données du quartier qui servirait à tenir le registre des richesses (non monétaires) de la communauté. Nous imaginons lancer cette initiative en créant un guichet éphémère lors de l'accrochage d'une prochaine exposition organisée par le collectif Curry Vavart au Shakirail, l'un des hauts lieux du commun à La Chapelle.

Nous imaginons aussi une maison sur le modèle des boutiques des sciences dans laquelle pourrait être développés des savoirs faire sur le mode school of data ou bien à travers la réalisation d'objets au service du quartier.

Cela peut paraître romantique et de peu d'effet sur l'économie réelle, alors prenons un autre exemple réel, qui à plusieurs années de recul. Diapo Hotel du Nord

Dans les quartiers nord de Marseille, Hotel du Nord, une coopérative d'habitants, a mis en place une démarche d'identification, de reconnaissance et de mise en valeur de l'histoire commune des habitants comme patrimoine culturel. Cela se traduit par une offre culturelle composée d'un bouquet de services offerts par les habitants :

  • Balades urbaines
  • Circuit de GR urbain et un guide commercialisé
  • Offre d'hébergement, et d'hospitalité chez l'habitant

Aujourd'hui, Hotel du Nord développe une plate-forme numérique de tourisme solidaire avec plusieurs villes et organisations de l'économie sociale, basée sur ces valeurs d'hospitalité. Une sorte d'anti AirBnB.

Hotel du Nord, n'est pas une simple coopérative. C'est une instance de défense des communs urbains - Ru-urbains - des quartiers nord de Marseille parce qu'elle fait de l'identité et de la mémoire, le générateur de la richesse collective.

Avec ces exemples, on voit que cet espace ne prendrait pas nécessairement toujours la même forme ou le même processus parce qu'il dépend de l'imagination de la communauté et des opportunités qu'elle peut saisir. Dans ce sens, une assemblée des communs est quelque chose de très pragmatique.

Entre parenthèse, on peut se demander si cet espace est nécessairement territorial et communautaire ? Pensez aux organisations qui se sont mobilisées autour de la défense des communs dans la loi Lemaire. Ne peut-on pas considérer ce collectif comme l'embryon d'une assemblée des communs de la connaissance ? Certains le pense. Cela demande réflexion.

Par ailleurs, désireux de comprendre ce qu'il se cache à Bologne derrière les rumeurs de chartes des communs, toujours dans un contexte militant, nous avons lancé l'idée d'Atlas des chartes des communs urbains.

Diapo page de David Bollier

D'abord, nous avons identifié une flopée de chartes ou de mécanismes juridiques qui permettent d'activer les communs en général et les communs urbains en particulier. Cela va de la charte de Kouroukan Fouga, du pays Manden de 1222, à celle contemporaine, de la ville de Vandoeuvre-Lès-Nancy avec ses associations.

Ensuite nous avons commencé à essayé de comprendre ces démarches. Que signifit(elles ? Qu'est-ce qu'elles permettent ? Comment sont-elles produites ? Diapo Grille de lecture

Nous avons réalisé une première grille de lecture de ces chartes. Elle pourrait certainement être bonifiée. Nous y travaillons. Toutes les idées sont bienvenues. Je n'ai pas le temps ici de rentrer dans les détails ici, mais je voudrais souligner 2 points clefs : La relation avec les technologies et le souci de la dimension émancipatrice de la charte.

Diapo techno

Les processus des chartes sont médiatisées à travers des technologies : 1. des modèles : de contrats, de comptabilité (et reporting), de règlement, ... de système de décision, de contrôle et de sécurité 2. des système d'information et de documentation 3. des modalités d'ouverture et de partage des données et des informations 4. des instances de conciliation et de résolution des conflits 5. des format de convivialité et activités sociales en lien avec la charte et/ou les communs Le partage ou non de l'usage, et la maitrise de ces outils permet de comprendre beaucoup des rapports de pouvoir entre habitants et puissance publique.

Grégorio Arena, du LABSUS montre que l'un des principaux obstacles au renouvellement de la relation entre la puissance publique et la population, c'est la culture centralisée et dominatrice de la puissance publique. C'est pourquoi, il est en train d'initier un réseau d'échanges de pratiques entre fonctionnaires italiens des villes qui ont adopté les réglementations sur le modèle de la ville de Bologne.

Retournons à Marseille un instant. Ici, Julie de Muer, une des animatrices d'Hotel du Nord nous explique très bien que les actions d'hotel du Nord sont en fait des « cas d'usage » de la convention de Faro. Ce ne sont pas des projets qui répondent à une injonction de la puissance publique.

Au fond, l'Atlas des chartes des communs urbains, c'est l'idée que l'histoire d'Hotel du Nord à Marseille peut aider Commons Josaphat à penser la construction de son quartier en communs à Bruxelles comme un « cas d'usage » de la ville qui permet de révéler et défendre le récit commun des habitants.

Le prolongement de l'échange entre ces deux groupes / communauté pourrait prendre la forme d'un jeu de recommandations pratiques pour améliorer la coopération entre la puissance publique et la population.

On voit donc que nous ne manquons pas de candidats naturels au statut d'assemblée des communs. Qu'ils s'agissent d'initiatives indépendante ou bien articulées à un mécanisme juridique qui reconnaît les communs, elles répondent aux 3 fonctions des assemblées des communs.

Deuxième piste : Nous avons aussi besoin de revenir sur les registres de discours qui fondent la légitimité des communs

De telles initiatives disposent d'un socle philosophique et juridique loin d'être négligeable. Je nommerai pèle-mêle, à charge aux chercheurs de creuser la question :

  • les droits humains fondamentaux qu'incarnent le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC)
  • Le droit à la ville, énoncé par Henri Lefebvre et David Harvey qui a nourrit le City statute au Brésil en 2001 ou le municipalisme en Espagne.
  • La convention de Faro (convention européenne) pour la préservation du patrimoine culturel sur laquelle s’appuie Hotel du Nord
  • mais aussi les coutumes, comme le montre bien Edward P. Thompson, qui ne sont pas que des choses du passé, mais aussi des outils politiques de critique et de résistance, et la conscience de l'expérience partagée des "arts de faire."

Au delà de la dimension juridique, pour faire vivre les communs, il faut prendre en considération la diversité des discours qu les défendent.

La diversité des motivations des commoners permet de comprendre quelles stratégies ils appliquent dans leur relation avec la puissance publique. Charlotte Hess, dans son article Mapping the new commons (2008) décrit comment à partir des années 60/70, les communs se sont diversifiés, comment nous sommes passés d'une définition du commons pool ressources aux visions très éclectiques d'aujourd'hui.

Elle met en évidence l'émergence de 6 nouveaux discours dans lesquels les communs sont le descripteur de ressources, de mouvements et de phénomènes. Ces descripteurs interrogent : d'une part le sens du partage et d'autre part le sens de la propriété.

  • Protéger une ressource partagée
  • Agir en P2P ou en collaboration massive
  • Lutter contre l'évidence de la tragédie des communs
  • Désir de culture et d'éducation basée sur les communs
  • L'identification du nouveau au sein des anciens communs
  • La redecouverte romantique des communs

Chacun de ces discours construie une stratégie de défense des communs qui lui est propre. Parfois, les militants des communs font appel à des mixtes de motivation.

Une autre expérience

Le travail sur les définition des communs (voir la carte http://wiki.remixthecommons.org/index.php/D%C3%A9finition_des_communs) met en évidence une variété de discours et de motivations pour rejoindre les supporters des communs : Il me semble qu'il est possible d'identifier des registres de discours tels que la justification des communs basée sur  :

  • la performence économique et / ou écologique
  • les droits humains
  • les droits de la nature
  • le langage du sacré et du spirituel
  • le langage lié à l'identité culturelle

Cela nous pose la question de savoir comment faire en sorte que cette richesse des discours et des motivations ne vienne pas, par leur brouillage des messages, empêcher la participation des communs au processus de juridicité (production législatif, juridique, …).

L'un des moyens de dépasser cette difficulté sans brider la richesse des communs , c'est de tisser des liens entre les vocabulaires et les grammaires de ces cultures. Dans le cadre de remix et maintenant dans celui de l'atlas des chartes des communs urbains, nous explorons comment les outils du web sémantique peuvent amplifier la portée et soutenir la communication des connaissances qui émergent des différentes mouvances associées au champ des Communs.

Le défi que nous essayons de relever est double :

  • créer les passerelles entre les corpus en préservant la logique propre de l'organisation et du développement de chaque projet (ne pas refaire le travail, mais ajouter pour mieux connecter) ;
  • établir des liens entre ces communs avec les grands ensembles de données sémantiques en émergence afin de promouvoir une meilleure visibilité du domaine.

Cela pourrait contribuer à redonner une place aux communs dans la culture générale. C'est en tout cas un élément de l'infrastucture nécessaire pour redonner une légitimité aux communs.

En résumé :

les communs urbains sont des modes/régimes de production de la ville ou plus exactement de l'urbanité. Nous avons besoin d'infrastructures politico-juridiques pour faciliter cette production.

Le premier défi des communs urbains c'est de proposer un rapport de pouvoir différent, dans lequel la puissance publique passe du rapport de participation a celui de coopération.

de nombreuses initiatives sont des candidats naturels au rôle à l'assemblée des communs. Elles existent déjà certainement et il faut les identifier et les aider à se renforcer

Le deuxième défi, c'est un rapport culturel différent. Les assemblées des communs doivent permettre aux habitants de tracer leurs chemins des communs.