La révolution des communs et le droit - préface
Auteurs : Camille Laurent, Frédéric Sultan, 2021.
Les problématiques juridiques tiennent une place de premier ordre dans les préoccupations des acteurs engagés dans la sphère publique. Pour nombre d’entre eux, choisir des statuts, adopter un règlement ou encore par exemple, définir une licence ou un label, peut créer l’illusion que cela suffit à mettre sur les rails leurs projets. Pourtant, tous ceux et toutes celles qui se sont frottés à cette réalité savent par expérience que pour répondre aux premières incertitudes, rien ne vaut de prendre le temps de mettre en lumière les rôles de chacun et les modalités de collaboration souhaitées. Cela implique non seulement les mécanismes qu’on désigne sous le terme de gouvernance, mais aussi les relations humaines et les dynamiques qu’on cherche à activer, ou encore les rapports avec l’environnement institutionnel et social, … et dans le même temps de s’inspirer des expériences similaires. Pour que cela soit possible et puisse donner du souffle à nos initiatives, nous gagnerions à ce que notre conception du domaine juridique ne réduise pas le droit au seul texte de la loi. C’est précisément cette transformation de notre culture juridique qu’a nourri Etienne Le Roy au cours de nos quelques années de compagnonnage autour des communs. Les concepts et les arguments qu’Etienne Le Roy apportera, dans la grande conversation sur les communs face aux dilemmes auxquels sont confrontés les mouvements qui se réclament des communs, une perspective radicalement nouvelle. Étienne le Roy nous permet de mieux comprendre certains des enjeux qui se nouent dans les dynamiques du faire en-commun autour des enjeux juridiques.
Le pluralisme juridique, c’est-à-dire la reconnaissance de la diversité des sources de droit, et la juridicité définie comme la capacité des acteurs à produire leurs propres règles, désacralisent le droit en permettant d’en comprendre la nature et les modes de production, tandis que la maîtrise et la médiation nous apportent des outils d’interprétation pour mettre en perspective primo et néo communs. Le texte présenté dans cet ouvrage et les apports d’Étienne le Roy à l’anthropologie du droit invitent à resituer le droit dans une perspective politique et l’investir comme un terrain de lutte sociale, ce qu’Étienne le Roy concrétisera à travers son engagement au sein du Comité technique "foncier & développement".
Il n'y a pas de communs sans pluralisme juridique
Étienne le Roy reconnaît dans les pratiques du commun des formes de production du droit. Mieux, il nous explique que ces pratiques et le droit qui en découle, sont légitimes et complémentaires du droit positif.
À travers l’encadrement de travaux de recherche, le suivi attentif des travaux anthropologiques sur la propriété dans les contextes africains et ses propres recherches au Sénégal en 1969, puis au Congo en 1972 et 1973, Étienne le Roy a étudié les formes juridiques de gestion communautaire dans le domaine des rapports de l’homme à la terre et plus largement la gestion des litiges, à travers les palabres. Ces pratiques communautaires ont été, et sont encore, largement déconsidérées parce qu’elles ne font pas l’objet d’une écriture alors que l’état colonisateur, et de nombreux décideurs après, lui ne jurent, eux, que par le droit consacré par le législateur de la nation. Elles sont aussi jugées trop complexes, instables et spécifiques pour pouvoir prendre place dans un système juridique à vocation universelle. La similitude avec la situation des communs est frappante. Ces derniers nous apparaissent au premier abord comme des microcosmes où s’élaborent des règles. Règles qui se font à travers des comportements, des formes de négociation entre les acteurs en présence, et un effort permanent pour les faire accepter à l’extérieur du collectif. L'adaptation est constante et nécessite des espaces et des temps pour la négociation. Les règles qui font et sont faites par les communs tirent leur légitimité de leur logique fonctionnelle. Elles sont souvent discrètes, parfois secrètes. Elles sont mise en œuvre avec pragmatisme. Elles sont établies avec le souci de répondre aux besoins de la communauté de manière efficiente. Elles ne se présentent pas comme une liste de procédures préconçues. Il est rare qu’elles puissent se résumer à une telle liste et les tentatives de les figer sous la forme de règlement montrent rapidement leurs limites. Il faut reconnaître que leur souplesse permet à ces dispositions de « faire système ».
Étienne le Roy observe notamment que le partage, par opposition à l'échange, est caractéristique des façons de faire en commun. Il unit autant qu’il sépare et donc permet à la communauté de tisser des liens entre les membres qui la composent et de définir les relations, pas forcément juste ou égalitaires, avec ceux qui lui sont extérieurs. Ces liens sont entretenus dans un travail permanent qui permet à la communauté de se (re)instituer. Comme le rappelle Abdourhamane Seck (2017. « Panser l’en-commun, contribution à une anthropologie de la forfaiture au Sénégal », In Achille Mbembe & Felwine Sarr. Ecrire l’Afrique-Monde, Jimsaan, Dakar) en wolof l'en-commun peut se dire mbokk, c'est "la parenté, le principe de communauté", il signifie " partage, mais aussi inclusion". Ce principe est politique, il y a un devoir de cultiver la socialité, "les Wolofs disent que la parenté se travaille".
De plus, pour Étienne le Roy, l'espace et "les ressources qu'il porte" se distinguent comme communs parce qu'ils ne peuvent-être aliénés discrétionnairement et affectés sans influencer la reproduction sociale et la transmission intergénérationnelle. Cela signifie que le collectif est plus que la simple addition des individus. De fait, le détour par les pratiques des Wolofs nous montre encore que les droits et obligations qui naissent du partage ne sont pas réductibles à leur seule dimension juridique telle qu’elle est décrite sous la forme de faisceaux de droits par Edella Schlager et Elinor Ostrom (1992. « Property-rights regimes and natural resources: a conceptual analysis », Land economics, p. 249–262.) et introduite en France par Fabienne Orsi (2014. "Réhabiliter la propriété comme bundle of rights : des origines à Elinor Ostrom, et au-delà ?" Revue internationale de droit économique 2014/3 (t. XXVIII), pages 371 à 385). Ces pratiques sont la base du lien social qui fonde des communautés singulières selon qu'elles sont familiales, amicales, d’intérêt, etc. Elles organisent le partage des "ressources", elles participent de l’interprétation des modes de conduite et des comportements de chacun des membres et définissent donc in fine la composition et les contours de la dite communauté. Nous regardons parfois avec distance les pratiques communautaires africaines, pourtant nous aussi nous avons nos coutumes. Au sein de nos communautés d'intérêts, de nos groupes familiaux, territoriaux ou amicaux, nous élaborons des règles non dites, au point qu’elles peuvent être incompréhensibles pour les non initiés. Nous configurons alors des lignes de partage, le plus souvent implicites entre celles et ceux qui sont intégrés et celles et ceux qui sont à la marge de nos communautés et n’en ont pas les codes.
Le pluralisme juridique s’affirme donc ici comme le rejet d’une pensée dogmatique du droit qui fait de sa production le monopole de l’État occidental. Les communs n’ont pas attendu ce que nous appelons depuis trois siècles « le droit » en Occident pour inventer ce qui, avant d’être écrit, prenait la forme de gestes posés, de simples regards échangés, poignée de mains, qui ont valeur symbolique d’engagement et obligent, au risque d’une sanction, tous les commoners qui se reconnaissent dans la finalité des usages poursuivis. Dès le XV° siècle en France, ce qui fut qualifié de coutume ou de droit coutumier prit une forme juridique qui permettait de résoudre les litiges entre personnes, et institutions, et permettait donc finalement de faire société. C'est ce qu’Étienne le Roy dénomme juridicité.
La reconnaissance de la pluralité de ses sources donne une dimension supplémentaire à notre conception du droit. Elle permet aussi de questionner le monopole de l’État au sein même de notre culture juridique. Les normes sociales proviennent « du bas » dès lors qu’elles sont instituées par la répétition des pratiques au sein d’une communauté. Ainsi, avec le pluralisme juridique, Etienne Le Roy poursuit les travaux de Michel Alliot (voir Étienne Le Roy. 2019. Pourquoi et Comment la juridicité des communs s’est-elle imposée dans nos travaux fonciers ? Récit d’une initiation. CTFD. Regards sur le foncier n°8.) et remet en cause cette idée profondément ancrée que le droit ne peut être fondé que sur des lois qui résultent d’un pouvoir suprême, omniscient et omnipotent détenu par le seul législateur, qui reproduit ou incarne une conception de l’État de droit divin.
En même temps qu’il nous libère de ce dogme, Etienne Le Roy nous invite à re-considérer notre connaissance et notre perception du domaine juridique dans une perspective d’émancipation en même temps que décoloniale. C’est sans doute parce que l’intention d’Étienne le Roy résonne avec le projet d’une école des communs interculturelle qui articule politisation des communs et éducation populaire[1] qu'au sein de Remix the Commons, la rencontre avec ses travaux nous a paru si enrichissante. Avec ELR, nous sommes convaincus qu’il faut ouvrir la boite noire du droit pour questionner les mécanismes de sa production et de son usage dans le contexte de la culture juridique occidentale, aussi bien que dans celui des autres cultures. Ce que nous disent la pluralité juridique et la juridicité, c’est que le droit n’est pas réductible à une expertise car c’est aussi un terrain de luttes sociales comme le montre l'usage créatif du droit que nous développerons plus loin.
La cohabitation de primo et néo-communs
Au côté du pluralisme juridique et de la juridicité, Étienne le Roy nous propose les concepts de primo et néo-commun. D'une part, à travers les primo-communs, Étienne le Roy valorise les pratiques ancestrales et transversales, à la base de façons de faire en-commun (partage, inappropriabilité, transmission intergénérationnelle) qui sont toujours présentes mais menacées ou en recul, car existant en dehors ou avant le marché et l’État. D'autre part, et c'est l'un des apports originaux du texte présenté ici, l'étude des néo-communs révèle la pertinence de l'approche par les communs pour appréhender des "créations de notre temps", mobilisant les caractéristiques des primo-communs tout en devant se faire une place face à la propriété privée. Etienne Le Roy explorait des notions nouvelles parce qu’il était convaincu que « notre addiction au propriétarisme est telle que nous avons beaucoup de mal à nous passer de la terminologie de la propriété pour traiter des communs" (Étienne le Roy "Des communs à double révolution." Droit et Société 2016/3 N°94. p 606). C’est avec la notion de maîtrise, qu’il a tenté de dépasser l'usage du terme 'droit' illustrant le rapport d'appropriation qui imprime la marque occidentale sur les rapports de l’homme à la terre. Les maîtrises foncières et fruitières étudiées dans les contextes africains, sont les pouvoirs et les responsabilités qui découlent des affectations d'un espace dont les usages peuvent être divers. Elles organisent le patrimoine commun d'un groupe et la multiplicité des formes d'usage et de gestion permettant sa durabilité.
Étienne le Roy étend son analyse au-delà des pratiques caractéristiques des maîtrises des primo-communs et interroge la combinaison entre le faire-commun et l’échange marchand. Il propose une approche pragmatique de la place que peuvent prendre les communs aujourd’hui lorsqu’un collectif produit des biens et services en commun et les échange sur le marché, ou lorsque des modes de gouvernance collective s’appuient sur des espaces protégés par des formes de propriété qu’elles soient privées ou collectives.
Rejoignant Serge Gutwirth et Isabelle Stengers, Étienne le Roy reconnaît dans les néo-communs la nécessité «de générer, d’entretenir, et de faire évoluer en cas de besoin, des règles qui organisent leur fonctionnement et les obligations qu’implique le fait de se comporter comme un commoner » ("Le droit à l’épreuve de la résurgence des commons", Revue juridique de l’environnement, 41 (2), 2016, p. 336. cité dans "Des communs à double révolution." Droit et Société 2016/3 N°94. p 613). Dans une société contemporaine où le lien social tend à se distendre et où les appartenances communautaires sont, de plus en plus, multiples, les communs font société car ils obligent à une forme de régulation même si elle est informelle et toujours en mouvement.
De notre côté, c'est avec l'exemple de la médiation que nous proposons d'illustrer les néo-communs. ELR se plaisait à raconter qu’il avait aussi conduit ses observations en France, c’est à dire dans le contexte juridique occidental. Il s’est, entre autre, penché sur le cas des pratiques de la justice des mineurs ou de la justice « restaurative » au Canada. Dans l’observation de ces milieux il a décelé l’importance des pratiques de médiation qui tiennent lieu pour les acteurs de processus d’arrangement, d'un droit tout à fait effectif, et pour les observateurs tel que lui, d’une forme de néo-communs. Il s'est penché sur ce chantier à travers l'association R.E.G.A.R.D.S dans une perspective inter-culturelle[2]. La médiation est un moyen de produire des compromis acceptés par toutes les parties d’un différend. Dans le domaine de la justice des mineurs, la médiation a pour objectif de résoudre un problème qu’aucune condamnation judiciaire ou bien l’invocation de règles formalisées, à elles seules, ne peuvent résoudre. Elle permet de prendre en charge le problème à travers des procédures typiques qui cherchent en priorité à aboutir à l’apaisement des tensions. Elle intègre les valeurs de solidarité, de partage et de soin au sein de processus institutionnalisés de règlement des différends. Ainsi la médiation parce qu’elle n’a pas vocation à seulement appliquer les règles pré-établies, permet de reconstruire un récit partagé, et de relier des personnes aux intérêts différents, parfois contradictoires.
L’apaisement des tensions et le règlement des différends par la médiation ne doivent pas être compris comme un rejet par principe de la sanction. Si celle-ci est parfois discutée dans les pratiques contemporaines qui mettent en avant la liberté d’accès, avec Étienne Le Roy, il nous paraît pourtant important de souligner que l'on trouve dans les primo-communs des formes de sanctions rituelles, et non à dimension punitive, par lesquels la ou les autorités désignées peuvent obliger au respects des règles décidées par le groupe même si elle ne sont pas entérinées par une autorité judiciaire étatique. Les néo-communs, et ici la médiation, n'évitent pas la sanction. Ils la définissent comme une pénalité dont on va s’assurer, de part sa nature et la forme qu’elle prendra, qu’elle s’inscrit bien dans un continuum qui fait toute leur place à l'information, au rappel et à l'acceptation collective des responsabilités et à la prise en compte du contexte de l'action et des contrôles réalisés.
Pour autant, l'existence de montages institutionnels mêlant des formes de faire ensemble propres aux communs et des processus relevant du marché ou des prérogatives de l’État, dans le cadre de la médiation, ne signifie pas que l'on doive faire l’économie de la construction de mécanismes juridiques complexes et propres aux communs. Un usage créatif du droit est plus que jamais indispensable.
Usage créatif et politique du droit
Aujourd'hui, outre le renouvellement de la culture juridique que nous venons d'évoquer, il est nécessaire pour le mouvement des communs de prendre la mesure du défi politique auquel il fait face. Il nous faut imaginer les outils et les mécanismes juridiques qui permettent de déployer l’en-commun et les stratégies qui permettent de les faire évoluer afin qu’ils servent un projet de transformation de la société sans être récupérés. L’une des forces des communs est d’instituer le collectif en action comme un interlocuteur de la puissance publique sur le terrain de la production juridique. Reste à obtenir une véritable reconnaissance de sa part !
A cet égard, le témoignage du réseau italien des biens communs[3] éclaire les enjeux démocratiques des communs. Après plusieurs années passées à soutenir les revendications de collectifs locaux qui le composent, son constat est sans appel : si les collectifs sont parfois parvenus à obtenir des avancées réglementaires concrètes, le plus souvent, ils ont fait le constat d’une instrumentalisation politique du discours sur la participation. La réalité des rapports entre puissance publique et citoyens relève trop souvent d’un paternalisme politique et administratif qui isole et infantilise des "citoyens actifs", les excluant systématiquement de l'élaboration des projets de réglementations.
Pourtant, les collectifs militants où se croisent l’expérience de la solidarité et les savoirs juridiques démontrent un véritable usage créatif du droit pour produire des réponses aux besoins, exprimés à travers les communs de surmonter les inégalités sociales, de partager des responsabilités en impliquant les personnes concernées, et d’inscrire la puissance publique dans une logique vertueuse d’encouragement de la coopération entre les initiateurs d’actions de solidarité. La richesse de la palette des outils et mécanismes juridiques pour les communs n’est plus à démontrer. L’usage civique à Naples, les chartes ou réglementations municipales dans le reste de l’Italie, le programme de patrimoine citoyen d'usage et de gestion communautaire à Barcelone[4] ou d'autres dispositifs illustrés dans l'Atlas des chartes des communs urbains[5]5, sont des exemples proches, qui inspirent largement le mouvement des communs.
Le combat dans le domaine juridique est politique dans le sens où il ne vise pas seulement à protéger les expériences d’en-commun, mais aussi et surtout à nourrir une transformation de l’usage du droit, et à introduire des précédents qui permettent de revendiquer une mise en œuvre concrète des droits civils et sociaux, de l'égalité, de la fonction sociale de la propriété, des droits à la participation et de la possibilité pour les usagers de participer à l’organisation des services essentiels. Principes qui bien qu’inscrits dans nombres de constitutions, restent trop souvent lettres mortes.
Au regard de cette forme de lutte sociale, les commoners sont parfois à la recherche de la protection d’un droit positif des communs, d’un droit qui puisse prétendre rivaliser avec le droit de propriété privée exclusive pour instituer une autonomie des communautés. Étienne le Roy propose lui de penser la juridicité comme une hétéronomie, c’est à dire comme le résultat d'un enchâssement des droits générés par les communs et des droits législatifs. La logique fonctionnelle qui dans les communs guide l’élaboration des règles et des principes d’action, rencontre celle de l’État garant de l’intérêt général. Pour les commoners, le défi est de faire vivre la démocratie en donnant à l'État le rôle de garant de la dimension universelle des droits humains (et peut-être bientôt non-humains), à travers des mécanismes qui vont garantir la compatibilité des communs avec l’intérêt général.
Dans le même temps, il faut combattre le caractère invasif et destructif du droit occidental propriétariste dont les effets sur les communs se poursuivent sous des formes nouvelles au nom de la rationalisation économique néo-libérale. Aujourd’hui, nous constatons l'instrumentalisation des outils juridiques initialement destinés à permettre l’exercice de la coopération et de la solidarité (chartes en tout genre, conventions, licences, mais aussi statuts associatifs et de coopératives) pour singer les communs. L’économie collaborative nous a donné quelques exemples qui alimentent les discussions[6]. Parfois ce phénomène résulte d’un désir de l’institution publique d’exercer une hégémonie sur la sphère publique, que ce soit pour exercer un contrôle bureaucratique comme au siècle passé, ou bien pour la marchandiser comme aujourd’hui, ce qui est parfois servi par des rapports ambivalents des commoners aux institutions. Ces procédés sont d’autant plus faciles lorsque les outils juridiques sont essentialisés et que le discours réduit les communs à des choses simplement définies par le mécanisme légal qui les protègent, sans leur reconnaître les valeurs sociales, éthiques et politiques déjà soulignées.
L’usage créatif et politique du droit est un travail du quotidien et l’une des dimensions essentielles de l’en-commun. Une conception créative du droit ne se limitera pas à créer de nouvelles réglementations, ni au travail des juristes enfermés dans leur expertise. Elle les oblige à se placer dans une perspective d’émancipation des personnes. La maîtrise créative du droit passe par des pratiques collectives de reconnaissance, de partage et de reproduction de la connaissance sur le droit attaché aux communs, à l’image de ce qui, dans un autre temps, a pu prendre la forme de célébrations des communs et de leurs règles telles que nous les rappellent les historiens comme Peter Linebaugh (The Magna Carta Manifesto: Liberties and Commons for All. Berkeley: University of California Press, 2008.) ou Edward P. Thompson (La Guerre des forêts. Luttes sociales dans l’Angleterre du XVIIIe siècle [« Whigs and Hunters : The Origin of the Black Act. »] (trad. de l'anglais par Christophe Jaquet), Paris, Éditions La Découverte, coll. « La Découverte Poche / Sciences humaines et sociales n°460 », janvier 2017 (1re éd. 2014), 196 p et Les usages de la coutume. Traditions et résistances populaires en Angleterre, XVIIe-XIXe siècles, ["Customs in Common"], trad. de Jean Boutier et Arundhati Virmani, Paris, coll. Hautes Etudes, Gallimard, Le Seuil, Éditions de l'École des Hautes Études en Sciences Sociales, 2015, 702 p.).
Ce qui fait la beauté des communs, c’est précisément qu’une liste de chartes, de statuts et de licences types ne suffit pas pour en réduire la complexité. Et c’est aussi qu’ils nous enseignent la nécessité de déployer avec les commoners un usage créatif et politique du droit, comme une partie indispensable des actions qui protègent et soutiennent notre capacité à faire communauté ensemble.
- ↑ A titre d'exemple, voir la présentation qu'en a fait Alain Ambrosi en 2014, au moment du Printemps Érable au Québec: les communs sont sur toutes les lèvres : https://wiki.remixthecommons.org/index.php/Le_bien_commun_est_sur_toutes_les_l%C3%A8vres
- ↑ Association qu'Etiennele Roy a co-fondé avec Stephane Tessier : http://dautresregards.free.fr
- ↑ Rete Nazionale Beni Comuni Emergenti e ad Uso Civico, "Proposte per lo sviluppo dei beni comuni “emergenti”. 23 Novembre 2020. https://www.labsus.org/2020/11/proposte-per-lo-sviluppo-dei-beni-comuni-emergenti/#:~:text=La%20Rete%20Nazionale%20Beni%20Comuni,con%20connessioni%20europee%20e%20internazionali
- ↑ Cadre conceptuel et normatif dont s'est doté la Mairie de Barcelone en 2017 : https://ajuntament.barcelona.cat/participaciociutadana/es/patrimonio-ciudadano
- ↑ https://wiki.remixthecommons.org/index.php/Atlas_des_chartes_des_communs_urbains
- ↑ Voir, par exemple, les débats sur "La ruche qui dit oui" sur la liste Échanges du réseau francophone des biens communs : https://listes.cfcloud.fr/bienscommuns.org/info/echanges