Université buissonnière des arts de de la rue
Les 9 et 10 janvier 2018, la Fédération nationale des arts de la rue organisait son université buissonnière à Besançon, autour du thème comme(s) un désir(s) de rue. Sollicité en dernière minute pour introduire la rencontre, j'ai proposé trois pistes en réponse à la question : Quelles lectures pouvons-nous faire de nos pratiques à travers le prisme des « communs » ? pour faire Récit, École et Mouvement autour des communs urbains.
Le prisme des communs, faire récit commun
Tiré de la collection : Définition des communs
Le visionnement de ce bref montage de définitions des communs donne à voir un certainde facettes des imaginaires qui sont attachés aux communs aujourd'hui :
- zone d'autogestion
- pratique d'auto-gouvernement,
- un système de ressources partagées avec des règles
- au bénéfice de tous y compris les générations futures
- appartenance communautaire
- pratique de la démocratie
Cette vidéo est loin d'être exhaustive, on pourrait ajouter :
- la relation de P2P et l'horizontalité des échanges souvent mise en avant
- la répartition de la valeur produite : le gratuit, le prix libre,
- la confiance nécessaire et en même les formes de contrôle des passagers clandestins
Les valeurs défendues dans le MANIFESTE POUR LA CRÉATION ARTISTIQUE DANS L’ESPACE PUBLIC (publié par la Fédération Nationale des Arts de la Rue) comme par exemple :Artistes de rue, nous sommes des acteurs artistiques croisant une diversité de métiers et de disciplines. Notre démarche se veut solidaire, de partage et d’accessibilité. Pour être et faire ensemble, vers un commun, nous privilégions le pouvoir de l’imaginaire et de l’enivrement pourraient parfaitement y trouver leur place.
Toutes ces définitions donnent à voir la variété des cadres de pensée et les valeurs ou les préoccupations des personnes qui les formulent et les utilisent pour construire leur propre action. Cette variation des définitions peut être perçue dans le temps. Les formes d'organisations des paysans ou des ouvriers des siècles passés (par exemple en Franche Comté, terre de communs, s'il en est) ne devaient probablement pas développer le même jeu de valeurs en matière par exemple, de hiérarchie et d'horizontalité, d'ouverture des communautés, de respect de l'égalité des genres. Cela ne permet pas de penser que leurs pratiques étaient moins légitimes en tant que communs que nos pratiques contemporaines.
Dans le champ théorique, les sciences sociales tentent de documenter à la fois les pratiques, les politiques et les philosophies, les différentes définitions qui sont élaborées se complètent plus qu'elles ne s'opposent les unes aux autres. Cela montre que les communs sont des phénomènes bien plus complexes qu'un simple mécanisme de conservation et de reproduction d'une ressource. Et c'est tant mieux !
Finalement, on peut considérer que la notion de communs est porteuse d'un récit alternatif qui permet de faire des liens et du sens entre les pratiques sociales, culturelles économiques qui visent à produire de la solidarité et ainsi à avoir une portée sur le terrain de l'action publique (c'est à dire l'action de la société civile et les politiques publiques).
La plateforme les Oiseaux de passage (qui développe une forme de tourisme coopératif), initiée par la coop Hotel du Nord à Marseille en s'appuyant justement sur les droits culturels et la convention de Faro, a publié récemment une très belle illustration de cette idée sous la forme d'une mise en regard de son vocabulaire avec celui du récit libéral dominant.
Pour répondre à la question : "Quelles lectures pouvons-nous faire de nos pratiques à travers le prisme des « communs » ?" une première piste pourrait alors être de travailler sur ces liens qui font sens et récit et sur la manière de l'amplifier, de le partager : faire récit commun !
Pratiques et commoning - Faire école des communs -
Mais, me direz-vous, pour que les communs ne restent pas seulement au niveau d'un méta discours, nous avons besoin de comprendre si et comment produisent leur effet attendu, à quel endroit se retrouvent nos pratiques, qu'est-ce qu'elles retirent et apportent dans ce récit alternatif ?
Cette question peut être abordée au niveau de l'initiative de mise en communs et au niveau du milieu ou du bassin de "commoning" :
Au niveau de l'initiative de commoning - de partage, de mise en commun -
Ouvrons le capot d'un projet, d'une initiative pour regarder les rouages, les mécanismes :
- comment cela fonctionne-t-il ?
- Quels sont les mécanismes qui instancient les valeurs que les militants veulent défendre ?
Une première manière de se donner une vue d'ensemble de ces éléments, c'est de prendre connaissance des 8 principes qui favorisent le bon fonctionnement d'un processus de mise en commun et de partage de ressources. définis par Elinor Ostrom.
Les 8 principes d'Ostrom
E. Ostrom identifie 8 principes de fonctionnement facteurs de robustesse des institutions de partage de ressources (CPR) :
- Une définition claire de l'objet de la communauté et des membres.
- Une adaptation des règles à la situation et à la ressource partagée.
- La possibilité pour les utilisateurs de participer à la modification des règles.
- La capacité de la communauté d'exercer une réelle surveillance du respect de ces règles.
- La capacité à adapter les sanctions pour non-respect des règles de manière graduelle.
- La capacité de proposer des instances locales de résolution de conflits facile d'accès et rapides.
- Une relation de subsidiarité avec les autorités publiques.
- La reconnaissance des différentes communautés impliquées dans la gestion de ressources qui sont imbriquées les unes dans les autres.
Ces principes ne doivent pas être pris pour des recommandations qu'il suffirait de suivre pour "avoir son ticket d'entrée dans les communs" ou bien pour que cela "marche", mais plutôt comme un jeu d'indicateurs qualitatifs qui permettent aux acteurs de conduire une analyse de leurs pratiques. Elinor Ostroim a ouvert la voie à la recherche à partir de l'étude des CPR et celle-ci s'est élargie à bien d'autres. Cette présentation n'a pas pour objet de faire une présentation exhaustive et pour aller plus loin sur ce sujet, on peut à défaut de se lancer dans des études plus ardues puiser dans la bibliographie sur les communs réalisées initialement pour NDDL et diffusée par SavoirsCom1.
Des militants dans les différents champs des communs ont aussi développé des outils qui permettent d'approfondir le travail d'analyse de pratiques. Il s'agit d'initiatives de cartographies ou des labels qui tentent de définir des caractéristiques qui permettraient de qualifier des initiatives en communs. Move-commons ou les grilles de lectures de Simon Sarrasin sont deux exemples parmi d'autres.
Au niveau du milieu / du bassin de commoning
Mais l'échelle de l'initiative ne permet complètement pas de comprendre comment ça marche. Pour comprendre leurs articulations entre elles, en quoi elles dépendent de la culture politique des habitants, de l'histoire du lieu, il faut pouvoir les situer dans leur contexte, C'est encore une question de récit.
Depuis 2015, nous avons déployé le projet Atlas des chartes des communs urbains qui consiste à analyser les ressorts de la gouvernance d'initiatives de commoning à travers les chartes et les mécanismes qui les relient à leur environnement institutionnel et plus largement à leur milieu.
Cela nous amène à prendre en considération le contexte et les relations entre initiatives dans un milieu donné. Comment s'emboîtent-elles et s'articulent-t-elles ? cela met en lumière l'importance du contexte, social, culturel et politique dans leur épanouissement. On retrouve encore l'importance de la production et la valorisation du récit populaire partagé. Cette démarche montre à la fois le rôle d'infrastructure des institutions des communs dans un milieu et les effets produits qui souvent débordent du seul objet ne serait-ce que parce que cela produit une capacité d'action et une expérience qui peut se cumuler et elle-même faire l'objet d'une attention comme communs.
D'autres initiatives comme le jeu Cartes en commun permettent de jouer au sens propre, avec les mécanismes de commoning. Au cours d'une partie, chaque joueur va devoir contribuer à la lutte contre les crises et les accaparements. Pour se faire, il va devoir mobiliser les ressources de son réseau pour lancer des projets ou des initiatives qui lui permettront de contribuer à des campagnes en vue de repousser les crises et les forces d'accaparement. Ce jeu met en évidence la nécessité de coopérer, de développer des initiatives, qui sont le point d'appui d'une culture de lutte sociale, mais il montre aussi que la seule accumulation d'initiatives ne suffira pas à changer la société. Pour cela il faut défendre ses idées en formant des coalitions qui développent une stratégie sur la façon dont s'exprime ou se met en scène le conflit dans la société. De telles coalitions évoluent dans le temps et en fonction des idées, valeurs et objectifs de chaque groupe militant. Enfin, en dotant les joueurs de caractères personnels qui vont avoir une influence sur leur comportement dans le jeu, il montre aussi l'importance de l'individu au sein du collectif.
L'expérience montre l'importance pour répondre à la question : "Quelles lectures pouvons-nous faire de nos pratiques à travers le prisme des « communs » ?" de déployer les théories, outils et méthodes d'analyse des pratiques, et des initiatives à travers un processus d'émancipation et de capacitation. L'importance de faire école des communs !
Faire mouvement autour des communs urbains
Après avoir porté un récit alternatif à l'approche néolibérale basée sur l'individualisme et la propriété exclusive des ressources naturelles et de la connaissance, aujourd'hui, un nouvel élan porte le mouvement des communs, c'est celui des communs urbains. Celui-ci entre en résonance avec les préoccupations de la Fédération nationale des artistes de rue.
Comme le montre Daniela Festa (dans sa notice dans la dictionnaire des biens communs) la notion de communs urbains émerge à la fin des années 2000 sous la plume d'un géographe Américain L Blomley. Celui-ci étudie des actions collectives à Vancouver de communautés qui se réapproprient matériellement et symboliquement un espace urbain lors d’importantes opérations de requalification urbaines, et montre l’existence de contre-récits par rapport au paradigme dominant, individualiste et exclusif de la propriété foncière urbaine publique ou privée. L Blomley propose d'utiliser cette notion pour mettre en cause l'exercice des prérogatives du propriétaire dans l'espace urbain, lorsque cela met en cause les intérêts d'autres sujets de droits.
La notion de communs urbains trouve donc sa source dans la géographie critique néo-marxiste américaine : le droit à la ville conçu par Henri Lefevre dans les années 60, et les notions de justice spatiale et sociale de David Harvey. Mais elle est aussi plus largement une remise en cause de la capture de la créativité et des relations qui sont le propre de l'espace urbain par le néolibéralisme (Commonwealth 2009, M. Hardt et A. Negri)
Les communs urbains structurent progressivement une réponse à l'accaparement des ressources et des espaces urbains lors de la crise 2007/2008. Les initiatives, les luttes, les expériences, les textes et les recherches se développent et convergent vers la revendication pour une ville plus juste socialement et écologiquement et plus démocratique.
En Espagne, le mouvement se transforme un puissant mouvement municipaliste basé sur les communs. C'est le mouvement politique des communs urbains. C'est aussi la première victoire politique des communs en Europe. Il est sous le coup d'une attaque des forces conservatrices et nous devrions déployer des formes de solidarité afin de protéger notre récit alternatif des communs.
En Italie, une multitude de démarches d'occupations, s'appuient sur les travaux de la commission Rodotà. Rodotà propose que la reconnaissance des communs soit liée à leur capacité à satisfaire des droits fondamentaux. Cette proposition permet de se libérer des classifications centrées soit sur la nature des ressources soit sur la titularité formelle (propriétés publics ou privées) pour se concentrer sur les fonctions satisfaites par leur usage.
Il en résulte le mouvement Co-city, une inventivité juridique autour des chartes et des règlements pour la protection des communs et récemment la reconnaissance par la ville de Naples d'un droit d'usage civique des ressources (lieu) propriété publique. Ces initiatives institutionnalisent les communs comme des espaces d'autonomie et d'auto-gouvernement.
Ces démarches (notamment espagnoles et italienne) ne pourraient-elles pas inspirer des applications s'appuyant sur les droits culturels et engager des convergences entre les mouvements sociaux en France. Ne peut-on par exemple imaginer une charte ou un manifeste élaboré à partir de l'expérience et des valeurs des praticiens des arts de la rue, qui permettrait de qualifier les usages légitimes de l'espace public, aussi bien ceux des acteurs de la société civile que ceux des pouvoirs publics et à terme de revisiter les fondamentaux du partage de l'espace public ? Cela concernerait par exemple :
- l'usage du foncier le plus souvent privatisé ou confié à des organismes non contrôlés par la démocratie (ZAC, ZUP, ...)
- l'usage de l'image des espaces sur lequel se battent aussi les défenseurs des communs de la connaissance (droit de panorama)
- les pratiques de l'hospitalité
- l'écologie urbaine qui donne parfois lieu à des formes d'enclosure alors même que les préoccupations sont citoyennes
- l'usage économique de l'espace public et la défense des pratiques d'économies populaires et la protection contre l'usage marchands financiarisé basé sur la publicité.
- ... etc
Une telle charte permettrait à la fois de revendiquer le respect de principes et des réglementations protectrices de l'espace public comme communs et d'améliorer les pratiques correspondantes des acteurs institutionnels et des militants dans le sens de plus de justice sociale, écologique et de démocratie. Sa conception créerait les conditions d'une convergence entre tous ces acteurs concernés par le partage de l'espace public. Une telkle démarche pourrait s'inspirer de l'expérience des acteurs de la culture libre à l'occasion de la loi République Numérique. De telles formes de coordinations fluides, puisant autant dans l'expérimentation et que dans la lutte pour prendre soin des communs urbains ensemble, viendraient enrichir la panoplie des formes de coordination des communs urbains existantes : coalitions néo-municipalistes, coordinations locales, ou encore assemblées des communs.
Une telle initiative serait de nature à contribuer à faire mouvement autour des communs urbains !