Science Commons et archives ouvertes (dossier DPH)

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Science et bien commun : les transformations des pratiques scientifique à l'ère du numérique


Par Stéphane Couture


Ce document fait partie du dossier DPH sur les communs numériques.
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La connaissance scientifique est intuitivement considérée comme relevant du bien commun, dans ce sens qu'elle est créée sur une base collaborative et qu'elle n'a pas de visée commerciale. Cependant, avec la place grandissante que prennent les technologies de l'information et les possibilités de partage et de collaboration que ces technologies permettent, la conception de la sciences comme bien commun prend aujourd'hui un sens nouveau, peut-être plus fort. Cet article présentera certaines pratiques qui émergent aujourd'hui en s'inspirant notamment des logiciels libres et du paradigme des biens communs, pour rendre plus accessible la connaissance scientifique. L'accent sera particulièrement mis sur la description du mouvement pour l'accès libre et ouvert à la science et sur le concept de science ouverte. Bien que ce terme soit parfois critiqué et qu'il désigne différentes pratiques disparates, il permet néanmoins de cerner un certain désir de renouvellement des pratiques scientifiques qui s'inscrivent dans

le paradigme des communs numériques[1].


Un exemple : le mouvement pour l'accès libre à la connaissance

L'un des exemples les plus intéressant pour comprendre l’enjeu de la sciences comme bien commun est le mouvement pour l'accès libre à la connaissance. Ce mouvement est également appellé en anglais l'« open access ». Le mouvement pour l'accès libre à la connaissance prend naissance au début du millénaire lors de différentes rencontres qui ont chacune donné lieu à des manifestes fondateurs : l’Initiative de Budapest pour l’Accès Ouvert (BOAI - Budapest Open Access Initiative) en 2001 et la Déclaration de Berlin sur le Libre Accès à la Connaissance en 2003. La Déclaration de Berlin préconise d’aborder Internet comme un moyen émergent de distribution du savoir, où le contenu autant que les logiciels doit être librement accessible et compatible. Le libre accès y est définit comme « une source universelle de la connaissance humaine et du patrimoine culturel ayant recueilli l’approbation de la communauté scientifique ».

Deux voies principales sont privilégiées par le mouvement pour le libre accès : la voie dite « dorée » et la voie « verte ». La voie verte consiste pour les chercheurs universitaires à publier une version pré-imprimée (ou pré-éditée) de leurs travaux sur leur site personnel ou mieux encore, dans des dépôts ou « archives ouvertes » spécifiquement destinées à cet usage. En France, par exemple, un dépôt national d'archives ouverte nommé HAL[2] a été mis en place pour permettre aux chercheurs de diffuser leurs travaux. Au Québec (et au Canada), aucun dépôt national n'a été créé mais plusieurs universités ont mis en place des dépôt, par exemple l'UQAM avec son dépôt Archipel.

L'autre voie privilégiée est la voie dite « dorée » – encore appelée la voie en or. Dans cette approche, on privilégie la création de revue ou encore la publication d'ouvrage en libre accès, par exemple publiée sous une licence Creatives Commons. Cette approche, ainsi que les logiciels qui ont été développés pour la soutenir, ont mené à la création de nombreuses nouvelles revues basée sur le libre accès. Cependant, l'un des effets pernicieux de cette approche est la création d'un modèle d'affaire basée sur la contribution financière des chercheurs pour la publication de leur texte. Ceci participe d'ailleurs à la création de nombreuses publications dont la qualité reste douteuse. C'est pour cette raison que plusieurs militants pour le libre accès, comme Steven Harnard ou Jean-Claude Guédon, privilégie aujourd'hui le modèle vert du libre accès[3].

Le mouvement pour le libre accès a également eu des avancées politiques importantes. Ainsi, au États-Unis, depuis quelques années, l'organisme subventionnaire de la santé exige que les chercheurs publient une copie de leur article dans un dépôt d'archive ouverte. Au Canada, les trois principaux organismes finançant la recherche ébauchent en ce moment une politique de libre accès qui obligera les chercheurs subventionnés à s'assurer que leurs travaux soit librement accessibles, soit en publiant directement dans des revues en libre accès (voie dorée), soit en déposant une version de leurs travaux dans une archive ouverte (voie verte).

Du l'accès libre à la science ouverte

Le mouvement pour le libre accès, combiné à d'autres initiatives telle que la création de Wikipédia, suscitent aujourd'hui l'intérêt de plusieurs acteurs qui voit l'émergence d'une « science ouverte ». Ce concept de « sciences ouverte » - en anglais open science ou encore open source science – prend aujourd'hui de plus en plus d'ampleur autant dans la communauté universitaire que dans les organisations de la société civile intéressés par les possibilités que permettent l'Internet pour le partage de connaissance. L'Open Knowledge Foundation Network (OKFN), une organisation sans but lucratif fondée en 2004, qui a pour mission de promouvoir les données et le contenu « ouvert », définit la science ouverte, comme un mouvement au qui cherche à prendre avantage des opportunités permises par le web pour améliorer le partage de l'information scientifique au-delà des contraintes imposées par le format papier et les modèles traditionnels des droits d'auteurs[4]. L'OKFN a ainsi répertorié une série d'outils et de services web permettant aux chercheurs d'« ouvrir » leur recherche, par exemple en partageant leurs données, ou faisant. Ces outils vont par exemple du partage de données à l'externalisation du travail scientifique (Crowdsourcing) et du financement de la recherche (crowdfunding)[5]. Alessandro Delfanti, chercheur postdoctoral à l'Université McGill et travaillant sur ces questions, définit pour sa part le concept de science ouvertes comme renvoyant à plusieurs aspects :


  • Accès aux publications scientifiques, principalement mis de l'avant par le mouvement pour l'accès libre décrit précédemment.
  • Accès aux données.
  • Participation citoyenne dans la production scientifiques. C'est le cas par exemple du site Tela Botonica, un site web de botanique qui regroupent autant des chercheurs scientifiques que des amateurs (Hess 2008).
  • Les nouvelles formes de productions scientifiques. Par exemple, la publication sur des blogues, ou sur des wikis, ou encore par l'intermédiaire de vidéos.
  • Et, parallèlement au dernier point, les changements dans les manières de reconnaître les contributions. On peut ranger dans cette perspective les « altmetrics[6] » qui visent à élaborer des mesures alternatives de reconnaissance des contributions scientifiques qui prennent aujourd'hui différentes formes, comme la publication des données ou encore des « nano-publications » sur Twitter ou autre.

Pour Delfanti, bien que ces enjeux soient assez distinctes, elles se regroupent autour de trois aspects : elles sont toutes liées à l'idée d'un plus grand accès à l'information (et s'inspirent en cela du mouvement du logiciel libre). Elles émergent dans un contexte de numérisation croissante. Elles sont ancrées dans un projet de transformation des institutions scientifiques.

Vers des communs numériques de la connaissance ?

Plusieurs initiatives tentent plus explicitement de mettre de l'avant l'idée de la science comme bien commun. Au Québec, l'Association Science et bien commun a été fondé en juillet 2011 avec pour objectif de défendre et promouvoir une vision des sciences au service du bien commun. L'association s'intéresse particulièrement aux initiatives d'accès libre, mentionnés plus tôt. Elle a également mené une enquête sur les relations que la population québécoise, dans l'objectif de favoriser une meilleure appropriation des enjeux scientifiques.

Sur le plan international, le groupe Creatives Commons, très connu pour être porteur des licences du même nom, a également lancé en 2005 un projet nommée Science Commons. Ce projet s'est terminé en 2010 pour devenir l'axe Science du projet Creatives Commons[7]. Cette initiative est digne de mention par la manière dont elle articule science et bien commun. L'objectif de cette initiative était d'amener dans le monde des sciences les principes d'ouverture et de partage qui ont fait le succès des licences Creatives. Plus précisément, il s'agissait d'amener, dans le domaine scientifique, un ensemble de contrats et d'outils facilitant la partage et la réutilisation des documents et données scientifiques. Le projet Science Commons s'articule autour de trois axes[8]: 1) Rendre les recherches sur davantage ré-utilisable en développant des outils et des politiques pour marquer plus clairement la possibilité de ré-utiliser la recherche. 2) Faciliter l'accès par « un click » à des recherches. 3) Intégrer des informations fragmentées[9].


À retravailler →

La question qu'il est intéressant de poser ici est de savoir si ces projets de sciences peuvent être appréhendés comme des biens communs. D'une part, il est important de mentionner que ces projets sont désignés, autant par les acteurs eux-même que par d'autres auteur, comme des biens communs. Le projet Science Commons, ou l'Association science et biens communs sont des bons exemples de ceci. Cependant, comme le mentionne Ostrom puis Hess[10] (Hess 2008) , les bien communs ne sont pas synonymes de libre-accès, mais sont également définis par l'auto-gouvernance et impliquent la communication. Toutefois, si l'on se fit à la définition de Hess, à savoir qu'un bien commun est une ressource partagée par un groupe et vulnérable à l'enclosure, à la sur utilisation, et aux dilemmes sociaux, on voit bien que le mouvements autour du libre accès et de la science ouvert sont des mouvements pour mettre en place une sorte de gouvernance des communs, en mettant en place certaines règles et certaines infrastructures pour assurer le maintien du bien commun. Dans un certain sens, l'originalité n'est pas tant de concevoir la science comme un bien commun. Le bien communs numériques ne se situe par tant dans la connaissance scientifique en tant que tel, mais plutôt dans le mouvement qui est mis en place pour en assurer le libre accès, et la manière dont les technologies numériques permettent la création de connaissances scientifiques protégées des dynamiques de privatisation.


Autre texte --> bien que l'on parle ici de la « communauté scientifique » au sens très large, il y a néanmoins tout un travail collectif des universitaires pour mettre en places des règles, et des modèles qui permettant de créer, de façon durable, des plate-formes de diffusion des articles.


  1. Extrait de Hess : «  This is also the entrypoint for many of the online mass collaboration projects such as Wikipedia, Del.icio.us, FOSS, the Public Library of Science, and digital libraries, such as the Digital Library of the Commons http://dlc.dlib.indiana.edu
  2. http://hal.archives-ouvertes.fr/
  3. Lire par exemple cette entrevue avec Jean-Claude Guédon, à la suite de la publication d'un article de Science qui relatait qui révélait que plus de 150 revues en open access (accès libre) sur 304 sollicitées avaient acceptés des faux articles scientifique. http://sciences.blogs.liberation.fr/home/2013/10/open-access-du-r%C3%AAve-au-cauchemar-bis.html
  4. http://wir.okfn.org/2011/07/14/a-wiki-approach-to-open-access-and-open-science/
  5. http://science.okfn.org/tools-for-open-science/
  6. http://altmetrics.org/manifesto /
  7. http://wiki.creativecommons.org/Science
  8. http://sciencecommons.org/about/details/
  9. Extrait de Hess (à retravailler) : « The recently developed Science Commons—an outgrowth of Creative Commons—informs users that the goal is to encourage stakeholders to create — through standardized licenses and other means — areas of free access and inquiry; a ‘science commons’ built out of private agreements, not imposed from above »
  10. Hess, C. 2008. “Mapping the New Commons.” Available at SSRN 1356835. http://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=1356835