Collectif de soins : de l'autogestion à la santé en commun !

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Interview avec Fabienne Orsi [1], Janvier 2021

Frédéric Sultan

Entrevue avec Fabienne Orsi, Janvier 2021

L' ATELIER POUR LA REFONDATION DU SERVICE PUBLIC HOSPITALIER est une initiative qui se saisit de l'idée de collectif de soin pour remettre la santé, le service public hospitalier et plus largement, le service public de la santé dans la perspective des communs. Lancé dans le contexte de la crise sanitaire, par plusieurs collectifs signataires d'un appel publié le 7 juillet dans les médias et rejoint par de nombreux signataires, collectifs et individuels. Le premier atelier s'est déroulé le 10 octobre 2020 à Montreuil près de Paris. Une centaine de personnes y participaient. Fabienne Orsi, l'une des initiatrices de la démarche nous la présente dans le cadre d'Horizons communs.

Hospital en commun, ITW Fabienne Orsi

Comment est née cette idée d'atelier ?

Avant la pandémie, une mobilisation de collectifs de soignants s'est fortement mobilisé pour dénoncer la destruction massive de l’hôpital en France. La question de la défense des services publics était donc déjà à l'ordre du jour des militants. La pandémie n'a fait que mettre au grand jour des problèmes qui se posent déjà dans les milieux médical, médico-social et hospitalier. Elle oblige le gouvernement à une négociation nationale, le Ségur de la santé, qui aura finalement effet de casser l'élan du mouvement social de la santé.

Au moment du confinement, des collectifs se sont retrouvés et s'interrogent sur la manière de renouveler leurs formes de mobilisation. La réflexion des collectifs amène à poser comme principe qu'il faut sortir de l'urgence et se donner la possibilité de revenir au sens des métiers des soignants.

Dans certaine circonstances, la crise a fait explosé le carcan du New Public Management. Aux endroits où ils ont pu échaper temporairement de ce carcan, les soignants ont su former des collectifs et retrouver le sens de leurs métiers. Partant de ce constat, un petit groupe a l'idée de proposer un atelier qui va partir du partage des récits du travail par les soignants, pour réinvestir l'idée de collectif de soin. Ce groupe rédige et lance un appel qui sera largement suivi et signé par des personnes du monde médical et médico-social, mais aussi par des militants, des chercheurs, .... des citoyens. L'objet de cet atelier sera de repenser ce qu'est le service public hospitalier et plus largement, le service public de la santé. On verra que s'interroger sur ce qu'est le collectif de soin, sur ce qu'implique s'organiser de manière collective et sur le rapport avec les institutions, fait émerger en filigrane l'idée et l'approche des communs.

Comment s'est organisé et déroulé l'atelier à Montreuil ?

À la suite de l'appel, un groupe de travail s'est donc constitué. Ce groupe est composé des membres de différents collectifs, d'acteurs de la recherche, de militants du travail. Un processus se met en place. Il faut apprendre à se connaître, se parler. Les soignants sont divers eux aussi : métiers, spécialités. Même ceux qui viennent de l'hopital n'ont pas toujours l'habitude de se parler. On va fabriquer le premier atelier de ces rencontres, en s'accorchant à l'idée qu'elles doivent se dérouler en présence plutôt qu'en virtuel.

Pour le premier atelier, il a été difficile de trouver un lieu en raison des dates, mais aussi des conditions matérielles dont nous avions besoin. Ce sera l'AERI à Montreuil. On s'est rendu compte que le lieu était important. Géré de manière autonome, par un collectif qui en est propriétaire, c'est un lieu d'éducation populaire qui s'adaptera à nos formes de travail. Car la forme des échanges va être très impotrtante. On va discuter en cercle, de manière horizontale dans des séances plénières et des ateliers parallèles. On va échanger à partir des expériences des participants plutôt que des présentation ou conférences d'experts. Cet échange implique des soignants, mais aussi des usagers. Cela permet d'aborder les enjeux de démocratie sanitaire qui sont totalement absents du système de soin aujourd'hui. La rencontre est une vraie tentative de mise en mouvement, qui relève des communs, révélée par le cercle et la discussion horizontale. Le compte rendu montre bien la nature de cette démarche fondée sur le partage de témoignanges.

Comment se prépare le prochain atelier ?

L'atelier à venir s'est aussi fabriqué de cette manière. La date en à été fixée à Montreuil ainsi que le lieu : Marseille. Il s'agit de poursuivre dans la même logique en intégrant des spécificités du territoire. Le deuxième atelier a été reporté car impossible à réaliser dans les conditions sanitaires actuelles. Pour le préparer le groupe s'est remis en action. Il s'agrandit mais en même temps, on y apprend à mieux se connaître. Se joint à la démarche la Volte, l'éditeur d'Alain Damasio et Sabrina Calvo. Pour respecter l'esprit et l'horizontalité de l'atelier, on leur donnera une place particulière : une carte blanche pour réagir à ce qui se dit lorsque cela leur parait utile ou nécessaire. L'idée est de faire émerger la question de l'imaginaire pour travailler le rapport à la santé et au soin.

Quelles sont les perspectives aujourd'hui ?

La démarche s'inscrit dans le long terme. L'enjeu central est de faire en sorte de garder le lien dans des conditions qui empêchent de se rencontrer, garder les gens désirants et rester ensemble. Il faut aussi en même temps se faire connaitre. Pour cela il y d'abord a une réflexion en cours sur de l'écrit : qu'est-ce qu'on pourrait écrire pour afficher notre démarche et position, la rendre accessible au plus grand nombre ? Et puis, nous réfléchissons aux moyens de poursuivre par des échanges à travers des outils numériques. On vous tiendra au courant et on est intéressé par toutes les idées et propositions qui pourront nous parvenir. Par exemple on y réfléchit avec le collectif Interop, porteur du référé contre les contrats qui donnent l'usage des données de santé à Microsoft.

Et les communs ?

Petit à petit cela s'agrège. Progressivement, on met en marche une démarche du commun avec des gens qui ne s'en préoccupe pas, mais pour qui cela devient en soi une expérience. Expérience d'auto-organisation dans les soins, mais aussi l'atelier. Il s'agit de mettre en commun des connaissances, éviter les conférences d'experts qui viennent dire ce qu'il faut faire. C'est important de se mettre sur un pied d'égalité. Pour autant, nous ne sommes pas naïfs. Nous voyons bien qu'il y a des différences. Les personnes qui ont plus d'aisance pour s'exprimer vont comme d'habitude être avantagées. Certains corps de métiers ne sont pas ou peu présents. Il y a peu de cadre de santé et cadres administratifs alors qu'ils subissent une forte pression Il n'y a pas non plus de brancardier. Cela pose beaucoup de questions. Il s'agit de créer un langage commun, trouver des équilibres entre les langages universitaires, ceux des acteurs qui sont divers. C'est très fragile et on se rend compte que cela requiert beaucoup de finesse et de capacité d'écoute. Cette fragilité est aussi très intéressante, car elle oblige à s'interroger et se tenir une manière de faire.

Pour aller plus loin sur l'état du système de protection sociale et de l'hopital

Pour comprendre le contexte de cette mobilisation et la mettre en perspective, on pourra visionner les deux conférences du séminaire Capitalisme Cognitif (CEMTI, CES, SOPHIAPOL): **

- Commun, système de santé et démocratie sanitaire face aux défis de la crise de la Covid 19, une conférence de Philippe Batifoulier, Directeur du CEPN, Université Paris 13

La crise sanitaire de la Covid-19 est une crise totale et multidimensionnelle qui a remis au premier plan le rôle de l’Etat social pour privilégier la santé sur l’équilibre budgétaire. Or, le social n’est pas forcément porté par l’Etat. Les plus grands moments de protection sociale dans l’histoire française sont contre l’Etat et fondés sur l’autogouvernement. On oppose un « citizen welfare » à un « welfare state ». La communication met en avant le rôle du welfare state dans les causes de la crise sanitaire et un éventuel retour du citizen welfare pour sortir de la crise.

- L'hôpital : une crise sans fin ?, une conférence de Fanny Vincent, Maîtresse de conférences en sciences politiques à l'Université Jean Monnet de Saint-Etienne (laboratoire Triangle)

Des établissements surendettés, des professionnel.le.s épuisé.e.s, des couloirs encombrés, des mobilisations permanentes… et une pandémie ! L’hôpital public est mis à rude épreuve. Hommes et femmes politiques, technocrates, ingénieurs et consultants, journalistes… diagnostiquent depuis plusieurs décennies une institution en crise, mal organisée, trop coûteuse et pas assez performante, engluée dans les lourdeurs administratives et les corporatismes professionnels. De leur côté, les professionnel.le.s de santé alertent depuis des années sur un manque de moyens devenu chronique, la dégradation de la qualité des soins aux patients, leur inégalité des chances à être pris en charge correctement, la désertion de l’hôpital public par des collègues de plus en plus nombreux.ses. A cela est venue s’ajouter une crise sanitaire inédite, mettant à l’épreuve tant la classe politique que les gestionnaires des établissements, les soignants et les patients. A la lumière de la situation actuelle, cette intervention revient sur les différentes lectures qui sont faites des « crises » de l’hôpital public ainsi que sur leurs origines. Elle montre notamment comment les crises organisationnelle, financière et sanitaire qu’affronte l’hôpital ont été construites, au mépris de la santé publique.


Interview with Fabienne Orsi [2], January 2021

Frédéric Sultan
Entrevue avec Fabienne Orsi, Janvier 2021


In France, the WORKSHOP FOR THE REFOUNDATION OF THE HOSPITAL PUBLIC SERVICE is an initiative that grasps the idea of "collective care" to rebuilt the health system, the public hospital and more broadly, the public health service in the perspective of the commons. It was launched in the context of the COVID19 health crisis, by several collectives gathering through a manifesto published on July 7 and joined by many signatories, both collective and individual. The first workshop took place on October 10, 2020 in Montreuil near Paris. About a hundred people participated in it. Fabienne Orsi, one of the initiators presents it to us.

Hospital in commons, ITW Fabienne Orsi

How was this workshop idea born?

Before the pandemic, a mobilization of groups of caregivers was strongly mobilized to denounce the massive attack under public hospital system in France. The question of defending public services was therefore already on the activists' agenda. The pandemic has only brought to light problems that are already present in the medical, medico-social and hospital environments. It has forced the government to negotiate a national agreement, the "Ségur de la santé", which will ultimately break the momentum of the social health movement.

At the time of the containment, people of the collectives met together and questioned how to renew their formats of mobilization. This reflection leads us to pose as a principle that it is necessary to get out of the emergency and give ourselves the possibility of returning to the meaning of the professional activity of care workers.

In certain circumstances, the crisis has exploded the straitjacket of New Public Management. In places where they have been able to temporarily escape this straitjacket, care workers have been able to form collectives and regain a sense of their professional activities. Based on this observation, a small group has the idea of proposing a workshop based on the sharing of expériences and stories of work by care workers, to reinvest the idea of a "care collective". This group decides to write and launch an appeal that will be widely followed and signed by people from the medical and medico-social world, but also by activists, researchers, .... citizens. The purpose of this workshop will be to rethink what the public hospital service and, more broadly, the public health service is. It will be seen that asking questions about what the healthcare collective is about, what it means to organize collectively, and what about the relationship with the healthcare institutions, brings us closer to the idea of commons and .

How was the workshop organized and held in Montreuil?

Following the call, a working group was set up. This group is composed of members of different health workers collectives, researchers, and activists. A process is being set up. It is necessary to get to talk to each other, to know each other. The care workers are also diverse: by professions, by specialties. Even those who come from the hospital are not always used to talk to each other in the hospital. We are convinced that the first (and after that the others) meeting should take place in person rather than virtually.

For the first workshop, it was difficult to find a place because of the period of COVID19 crisis, but also because of the material conditions we needed. It will be the AERI in Montreuil. Now, we realized that the location was important. Managed autonomously, by a collective that owns it, AERI is a place for popular education activism that can adapt to our formats of work. Because the form of the exchanges will be very important as we will discuss in a circle, horizontally in plenary sessions and parallel workshops. We will have exchanges based on the experiences of the participants rather than on presentations or lectures by experts. This exchange will involve care workers, but also users. It allows us to address the issues of health democracy that are totally absent from the French health care system today. The meeting is a real attempt to set a movement, which is part of the commons, revealed by the circle and the horizontal style of discussion. The report clearly shows the nature of this approach based on the sharing of testimonies.

How is the next workshop being prepared?

The upcoming workshop was also prepared in this way. The date has been fixed during the Montreuil gathering as well as the place: Marseille. It is a question of continuing in the same logic by integrating specificities of the place. The second workshop has been postponed because it is impossible to carry out in the current sanitary conditions. In order to prepare it, the group went back into action. The organizing group is growing, but at the same time, we are getting to know each other better. For example, La Volte, the publisher of Alain Damasio and Sabrina Calvo, decided to join the process. To respect the spirit and horizontality of the workshop, we will give a special place: a "carte blanche" to react to what is said when it seems useful or necessary for them rather than to do a lecture. The idea is to bring out the issue of the place of the imagination in relationship to health and care.

What are the perspectives today?

The approach is a long-term one. The central challenge is to keep the link between people while we are in conditions that prevent people from meeting, keeping people wanting and staying together. At the same time, we must also make ourselves known and visible. How to do this ? First of all, there is an ongoing reflection on what could be written. We are thinking to write something to be able to display our approach and position, to make it accessible to the public. And then, we are thinking about how to continue with exchanges through digital tools. We will keep you informed and we are interested in all the ideas and proposals that may come to us. For an example, we're thinking about possible uses of digital tools with the InterHop collective, which is the bearer of the referral against the contracts that give the use of health data to Microsoft signed by the governement.

And what about the commons ?

Gradually, we're starting to work on a commons approach with people who don't care about it, but for whom it becomes an experience in itself. An experiment in self-organization in healthcare, but also in the workshop. It is a question of pooling knowledge, avoiding conferences of experts who come to say what needs to be done. Important to put ourselves on an equal position. But we are not naïve. We can see that there are differences. People who are more comfortable expressing themselves will be at an advantage. Some professonnals are not present. There are few health executives and administrative executives while there is a lot of pressure on them. There is no stretcher-bearer. This raises a lot of questions. It is necessary to create a common language, to find a balance between the academic language and those of the various actors. It's very fragile and we realize that it requires very fine tuning. This fragility is also very interesting, because it forces us to question ourselves and to hold a way of doing things.

To find out more about the state of the social welfare system and the hospital

To understand the context of this mobilization and to put it into perspective, we recommand to see the two conferences of the Cognitive Capitalism Seminar (CEMTI, CES, SOPHIAPOL):

- Common, health system and health democracy in the face of the challenges of the Covid 19 crisis, a lecture by Philippe Batifoulier, Director of the CEPN, University of Paris 13. https://www.youtube.com/watch?v=zElmaTDpsB0&t=1076s

The health crisis of Covid-19 is a total and multidimensional crisis which has put back in the foreground the role of the social state to privilege health over budget balance. However, the social aspect is not necessarily carried by the State. The greatest moments of social protection in French history were against the State and based on self-government. A "citizen welfare" is opposed to a "welfare state". The paper highlights the role of the welfare state in the causes of the health crisis and a possible return of the citizen welfare to get out of the crisis.

- The hospital: a never-ending crisis? a lecture by Fanny Vincent, Lecturer in Political Science at the Jean Monnet University of Saint-Etienne (Triangle laboratory): https://www.youtube.com/watch?v=MWB5Z_9Mn3A

Over-indebted establishments, exhausted professionals, congested corridors, permanent mobilization... and a pandemic! The public hospital is under severe strain. Politicians, technocrats, engineers and consultants, journalists... have been diagnosing for several decades an institution in crisis, poorly organized, too expensive and not efficient enough, mired in red tape and professional corporatism. For their part, health professionals have for years been warning of a chronic lack of resources, a deterioration in the quality of patient care, unequal opportunities for patients to be treated properly, and the desertion of the public hospital by an increasing number of colleagues. To this has been added an unprecedented health crisis, putting politicians, hospital managers, caregivers and patients to the test. In the light of the current situation, this talk looks back at the different interpretations of the "crisis" in public hospitals and their origins. In particular, it shows how the organizational, financial and health crises faced by the hospital were constructed, with disregard for public health.



Objet(s) de commun : Santé publique,  Protection sociale,  Hôpital  Enjeu(x) : Autogestion,  Auto-organisation  Action(s) : Atelier,  Gestion de crise  Résultat(s) attendu(s) : Démocratie sanitaire  


Métadonnées

Auteur(s) ORSI Fabienne
Langue du contenu FR, EN


  1. Fabienne Orsi est chercheuse à l'IRD, engagée pour la transformation des services publics de santé en communs.
  2. Fabienne Orsi is a reseracher at IRD (public research institute in France), involved in the struggle for the reclaim of a renew of public health services based in commons.