Pratiques de gouvernance à La Chapelle

De Remix Biens Communs
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Dans la collection : École des communs La Chapelle

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Avec l’École des communs, enquêter auprès des collectifs habitants en action pour révéler et prendre soin de ce qui nous lie à notre quartier.

Enjeu(x) : Habiter  Action(s) : Éducation populaire,  École des communs  Résultat(s) attendu(s) : Identité culturelle partagée  


Métadonnées

Auteur(s) OSORIO MÉNDEZ Angela Maria, SULTAN Frédéric, GORRY Anne, DE TULLIO Maria Francesca
Langue du contenu Français
Pays France
Fait partie de École des communs La Chapelle
Média Article


Article Article adapté de : Facciamo una scuola dei commons (comune-info.net), Maria Francesca De Tullio, Anne Gorry, Angela María Osorio Méndez, Frédéric Sultan, 17 Dicembre 2023

Comment la sensibilisation des militants et militantes d’un quartier populaire aux dynamiques de pouvoir qui s’exercent dans la gouvernance quotidienne de leurs associations, collectifs ou réseaux contribue-t-elle à nourrir l'imaginaire politique d’un quartier en communs ? À La Chapelle, dans le 18ieme arrondissement à Paris, cette thématique à fait l'objet de l'École des communs à travers 5 chantiers-écoles échelonnés sur un peu plus d’une année. Ceux-ci ont permis aux participants et participantes de faire de leur quartier le terrain d’une recherche vivante questionnant la vie ordinaire de leurs collectifs. Ils et elles ont analysé les dynamiques de pouvoir et les ont confronté à des pratiques inventives développées dans d’autres pays et contextes, se sont appropriés une panoplie d’outils méthodologiques qu’ils ont expérimenté lors des chantier-écoles. Chemin faisant, chacun et chacune renouvelle son identité d’habitant comme celui qui prend part à sa communauté. L’école des communs est finalement une initiative qui tire les fils de l’histoire et de la culture partagée pour prendre soin de son quartier : une histoire d’éducation populaire.

Gouvernance ? convenir des manières de faire

Le projet École des communs de la gouvernance est une initiative qui a pris forme dans les espaces de la radio communautaire RapTz à La Chapelle. Avec l’appui de la Fondation Paris Habitat et la coordination de Remix the Commons, le quartier a été le théâtre d’une conversation et du partage d’expériences sur la gouvernance avec les militants et les militantes.

La "gouvernance", dans un sens politique étendu est l’ensemble des modes de faire qui vont guider la vie collective. Cela va au-delà du formalisme structurel des statuts et des processus de prise de décision généralement considérés. Elle s’étend aux dimensions pratiques de l’organisation collective : les accords, les négociations et les dynamiques que les groupes créent pour fonctionner et gérer les tensions entre la macro-politique (visions politiques, valeurs, objectifs, statuts, programmes...) et la micro-politique (dynamiques de pouvoir quotidiennes dans les processus de coexistence, dans la logistique des organisations et des groupes, dans les stratégies de prise de décision, dans les conditions matérielles de nos pratiques...). 5 chantiers pour « faire école » Le parcours de l’École des communs s’est déroulé pendant 18 mois et il s’est articulé autour de 5 chantiers-écoles. Chaque atelier s’est focalisé sur une dimension singulière de la gouvernance. Les thèmes abordés étaient les suivants :

  • SE REJOINDRE SE RACONTER : Focus sur la communication, la sensibilisation et l’accueil afin d’atteindre les habitants et habitantes du quartier et les impliquer dans le processus démocratiques et participatifs du quartier.
  • MONEY OR NO MONEY : Focus sur les ressources partageables et la soutenabilité des expériences et des groupes actifs dans le quartier.
  • LE TEMPS DU CARE : Focus sur les dynamiques de pouvoir interpersonnelles dans les groupes et les processus de reproduction sociale. 
  • L'ESPACE EN COMMUN : Focus sur les défis et les craintes liés à l'occupation et à l'utilisation d'espaces partagés et à l'ouverture de son propre espace à l'usage par d’autres.
  • UN QUARTIER EN COMMUN ! CRÉATION D'UN FANZINE COLLECTIF : Focus sur la restitution du parcours des 5 chantiers-école à travers la création d’un fanzine comme instrument de narration à plusieurs voix.

Au cours des chantiers ont été explorés des thèmes tels que l'implication des habitants, la distribution du temps, l’accès aux ressources, aux espaces et l’agencement de récits partagés. Pour chacun de ces chantiers, nous avons apporté une attention particulière au travail du soin, un fil rouge de l'action communautaire, constamment dévalorisé dans la lecture capitaliste de l’action collective. L’exploration de tels thèmes met en évidence l’existence dans n’importe quel collectif ou réseau de dynamiques de pouvoir à l’œuvre mais aussi, révèle à chacun et chacune sa propre capacité d’agir, une capacité à développer une vigilance et à déconstruire les relations de pouvoir, et la possibilité de mettre en place des structures de gouvernance plus horizontales et inclusives.

L’expérience partagée comme savoir militant

L’invitation lancée auprès des groupes actifs dans le quartier, a aussi été adressée à certains acteurs du mouvement des communs afin qu’ils partagent leurs visions et leurs expériences sur ce sujet. Avec cette démarche, se crée une dynamique de collaboration entre savoirs pratiques et savoirs académiques, orientée vers la recherche de stratégies pour faire face aux défis de l’implémentation et de la définition de structures de gouvernance en mesure de promouvoir le faire en commun dans une logique de redistribution de pouvoir, mutualisme et adoption de méthodes décisionnels horizontales et non hiérarchiques. Ces savoirs pratiques et académiques lorsqu’ils se recomposent peuvent constituer un véritable savoir militant collectif dans le sens où il est partagé par la communauté. Cela était renforcé par le choix d’élaborer le programme de chaque chantier en employant des méthodologies féministes (avec une attention toute particulière à la visibilisation de pratiques de pouvoir invisibilisées).

L’École des communs laisse en héritage aux habitants du quartier, une boîte à outils utilisable dans différents contextes et par celles et ceux qui souhaiterait initier ou élargir les analyses des pratiques de gouvernance. Ces instruments ont vocation à rendre visibles les pratiques de gouvernance et à inviter à réfléchir à la fois individuellement et collectivement aux positionnements de chacun et chacune. Cela permet de rendre explicites non seulement les choix de gouvernance fait délibérément par les participants et participantes dans leurs espaces ou groupes, mais aussi les dimensions invisibles de la gouvernance, sur lesquelles on ne pense pas devoir délibérer mais qui pourtant fondent l’exercice et parfois l’abus du pouvoir.

L’enquête comme mode de production des connaissances

Le parcours dans sa totalité doit être compris à la lumière d’une approche de recherche-action. Il a mis en évidence la dimension collective de la construction des savoirs dans le cheminement à travers les chantiers-école, tout en abordant chaque atelier en tant que moment à la fois de production, d’appropriation et de diffusion des savoirs. Dans cette optique, chaque chantier-école est précédé enquête menée afin de d’identifier les expériences existantes dans le quartier qui illustrent ou nourrissent la dimension de gouvernance qui sera explorée, ainsi qu’une recherche de pratiques et d’expériences étrangères sur la même question. La recherche dans le quartier, menée par les habitants et habitantes a permis de créer tout au long du parcours une lecture actualisée du territoire à travers le prisme de la dimension de la gouvernance proposée. Cela a permis aux participants et participantes de transformer leur propre quartier en espace de recherche vivante où la vie quotidienne est examinée à partir des thématiques abordées et en tant que lieu traversé par diverses dynamiques de pouvoir. De plus, les participants et participantes ont pu s’inspirer d’autres pratiques fructueuses issues d’expériences internationales pour enrichir la gouvernance dans leurs propres espaces, groupes voire quartier et plus largement leur imaginaire politique. Lors du travail en atelier on a employé de nombreux outils issus de la collaboration avec des chercheurs et chercheuses de différentes parties de l'Europe. Nos remerciements vont tout particulièrement à Silvia Cohn, Monica Garriga, femProcomuns, Cecilia Nessi, Marie Moïse. Par exemple, nous avons réalisé des promenades critiques, des jeux de rôle pour réfléchir à la gestion (qu’elle soit partagée ou non) des espaces en lien avec le quartier, des ateliers sur le temps du soin, un jeu de société sur la soutenabilité au sens large des ressources communes (pour plus de détails sur chaque chantier-école on renvoie au fanzine numérique du projet : https://fanzine.ecoledescommuns.cc/).

Inviter à participer à une narration collective

Une attention particulière a été apportée au choix des modes de communication, de conservation et de diffusion des savoirs et des connaissances produites lors de chaque chantier-école. Notre désir de produire un récit choral avec les personnes qui ont pris part à l’École des Communs, nous amène à privilégier deux langages qui nous ont parus plus accessibles et adéquats pour une narration collective plutôt qu’un modèle standard de rapport du projet. Notre choix s’est arrêté sur la radio et le fanzine en tant que formats à tester pour raconter collectivement chaque chantier-école auprès des habitants et habitantes et diffuser le résultat une fois le projet terminé. Ainsi l’un des ateliers de l’École des communs a donné lieu à un fanzine numérique qui rend accessible en ligne ce qui avait d’abord pris la forme d’un fanzine physique (https://fanzine.ecoledescommuns.cc/). Le fanzine nous a permis de rendre compte de façon collaborative avec les participants et participantes, du processus d’apprentissage des chantiers. Le mélange d'images et de textes offert par ce format nous a donné de multiples occasions de communication et d’expression individuelles et collectives. Les podcasts radio, quant à eux, ont permis aux gens d'exprimer leurs propres pensées sur l’état d’avancement de chaque chantier, tout en laissant une trace de l’élaboration in itinere de l'expérience de réalisation et de participation à chaque chantier-école. Le format de dialogue proposé dans les podcasts a permis aux personnes d’enregistrer leurs commentaires sous la forme de dialogue quotidien, ce qui les a mis à l'aise. Ces enregistrements, d’ailleurs, sont restés comme une sorte de témoignage vivant des réflexions émergées au moment de la réalisation du chantier-école. Enfin, une trace numérique sera élaborée à partir de ces matériaux dans le site web École des communs.

Entretenir la culture militante pour faire communauté

Profitant de la comparaison avec l’École des communs de l’alimentation qui s’est déroulée parallèlement avec d’autres collectifs à Marseille, Montreuil, Toulouse et dans le Vercors, nous avons identifié trois questions ou défis pour l’École des communs. La première concerne la temporalité de cette expérience et ce qui en reste dans le temps long au-delà des chantiers-école. Nous devons nous interroger sur la façon dont pourrait se prolonger une telle série d’évènements d’apprentissage afin que les pratiques de partage et de collaboration soient pérennisées sur le territoire. Comment se sédimente l’expérience et quel dispositif d’auto-formation pourrait entretenir ce processus culturel ? La deuxième question porte sur la documentation. En tant qu’ultime temps de discussion autour des langages à employer, celle-ci permet de diffuser et transmettre les savoirs déployés. Il s’agit de trouver des moyens non seulement pour laisser une trace de ces expériences mais aussi pour rendre ces matériaux un point de départ pour relancer la réflexion et inspirer d’autres commoners à mettre en place formes d’auto-éducation. Le dernier défi tient à l’usage des espaces, à la configuration qui leur est propre. L’école a des lieux spécifiques à disposition dont il faut savoir saisir la particularité pour déployer les potentialités qu’ils offrent. Si l’on se pose la question des espaces on doit également se poser la question des modalités avec lesquelles on peut les habiter, les traverser, les utiliser pour enrichir les activités qui peuvent s’y dérouler selon une logique d’élargissement réciproque d’usages et d’usagers.

De l’école des communs à l’école de l’habiter en commun

Nous arrivons au terme d’un parcours avec la pleine conscience de ses limites, voire de ses échecs et qui par ces derniers a appris la nécessité d’être à l’écoute de la communauté, de ses rythmes et de ses pratiques. L’une des manières de dépasser ces difficultés est sans doute de créer des agencements entre les différentes initiatives pour qu’elles ne restent pas confinées dans leur isolement mais puissent résonner et s’alimenter les unes avec les autres. Il s’agit de leçons que nous espérons faire nôtres en appelant au développement, partagé avec d'autres mouvements, d’une École des communs au niveau européen. Une telle dynamique ne concerne pas seulement les militants et les militantes mais aussi les acteurs de l’habitat dont l’activité ne peut être réduite au seul logement. Les institutions publiques concernées par l’habiter, en passant d’une perspective de l’urbanisme et de l’aménagement à une perspective du ménagement pourrait tout à la fois contribuer et bénéficier à l’école des communs et à une ville vivante et inclusive .

Paris, 25 mai 2024 - Auteurices : Frédéric Sultan, Angela María Osorio Méndez, Maria Francesca De Tullio, Anne Gorry.

Crédit photos : ©MaryLou_Mauricio